Calaghan Hamitey dit Cal « Le Tordu », est le parrain de la banlieue ouest. C’est un type de la soixantaine encore vert,
féru de boxe. Il tire d’ailleurs de ce sport toutes ses combines en en truquant les matches. Il touche bien sûr à la drogue et au racket, mais comme qui dirait, en dilettante. La rumeur lui fait
imputer la mort « accidentelle » de quelques poulains un peu récalcitrants. Mais seules quelques rares personnes peuvent se vanter d’être témoins ou avoir des
preuves.
Arrogant et imbu de lui-même, aussi avide, sinon plus, que le roi Midas, il n’hésite pas à flouer ses pairs en leur filant de temps
en temps des tuyaux crevés. Son machiavélisme est tel qu’il arrive toujours à tirer son épingle du jeu. Cependant, certains, moins naïfs — ou plutôt plus méfiants — ont fini par se
douter de la bonne foi de Cal Hamitey. Mais aucun n’a trouvé le moindre bout de la queue d’un indice pouvant conforter le soupçon.
— Allons Joey, tu te fais des idées.
— Je vous assure m’sieur Hamitey que c’est très sérieux. Je tiens l’information de la bouche même du premier garde du corps de
Mario « Le Rat Zingueur », notre micro clandestin a tout capté.
— Mais pourquoi infiltrer un tueur à gage dans mon équipe ? Si on veut me tuer, pourquoi toutes ces finasseries ?
C’est invraisemblable. N’y aurait-il pas eu une erreur quelque part ?
— Je suis formel, l’enregistrement est impec, on entend bien citer le nom de l’Éboueur.
— Je ne comprends pas, j’aurais déjà été tué, si c’est vraiment lui.
— Alors, ce n’est peut-être pas vous, la cible.
— Ah, mais c’est logique, Joey ! Ça me rassure… Mais il ne sera pas dit que moi, Hamitey, je tolèrerais un tel affront. On
va le trouver, cet Éboueur.
— Oui, mais comment ? On dit que personne ne le connaît.
— C’est forcément l’un des derniers recrutés. Va, renseigne-toi vite.
— Qu’est-ce qu’on fait si on le trouve ?
— Je vais l’éliminer, pardi ! Ça apprendra à ce connard de Mario… et à ceux qui voudraient s’y mettre aussi à m’utiliser
pour leurs combines.
Quatre hommes ont été recrutés dans le mois : Beau Poinié, un entraîneur débauché d’une écurie célèbre, Jules Maron, un
« percepteur » de la section racket, Claude Debris, le nouveau comptable, et Ed Helveis, une petite frappe qui pouvait être prometteur.
Beau est un ancien champion poids léger. Cal l’avait fait coucher maintes fois sans problème, parfois à l’insu de son écurie, pour le
grand bien des poches du malfrat. Il est peu probable que ce cheval sur le retour soit un tueur à gage, compte tenu du peu de loisirs dont il disposait avant.
Jules est une brute épaisse qui ne connaît que le langage des poings. Ce culturiste dénué de toute subtilité ne peut servir qu’à
intimider. Mais on a déjà vu des pseudo demeurés bien cacher leur jeu. Un tueur à gage peut très bien se passer d’un feu et se fier à ses mains nues ou à une arme blanche, ou même à une corde à
piano. Les références dans ce milieu ne signifient pas grand’chose, la corruption et le népotisme y règnent évidemment.
Claude est le type même du petit comptable besogneux. Cal s’était plaint à Glenn, le gérant du casino Le Dé Cassé, de l’incompétence
de son bookmaker dans la manipulation des chiffres destinés au fisc ; son ami lui avait chaudement recommandé ce Claude Debris qui pouvait noircir le blanc ou blanchir le noir comme en se
jouant. Il est difficile de penser que ce binoclard aussi timide qu’une souris et apparemment émotif comme une vierge, ait l’étoffe d’un tueur au sang froid. C’est un comptable intérimaire qui ne
doit pas gagner des masses, au vu de sa mise des plus modeste et sans aucun goût. Cal a même vu ses yeux briller quand il lui avait annoncé son salaire (à peine deux fois ce que gagne un
intérimaire) et il a été franchement embarrassé quand l’énergumène lui a pompé avec vigueur le bras, en le bousculant dans son enthousiasme.
Ed est un pur produit de la rue. Bagarreur, courageux au point d’être téméraire, maîtrisant les armes à feu dès seize ans, cet
individu a fait montre d’une habileté incroyable en réussissant à éviter les maisons de redressement… à moins qu’il n’ait eu une veine de pendu. Ed est aussi caractérisé par son manque de
scrupule, une ambition dévorante et un goût immodéré du luxe. Cal craint justement que ce jeune loup veuille brûler les étapes et faire feu de tout bois pour assouvir une faim de vie princière.
Il ne serait pas étonnant que cette petite frappe mange à tous les râteliers.
« Le Tordu » décide d’assigner un mouton à chacun de ces suspects, et il détache même l’un de ses loyaux gardes pour
surveiller de près Ed Helveis.
— Joey, j’ai une idée pour démasquer notre gibier.
— C’est vrai, monsieur ? Alors vous êtes un génie.
— Bah, c’est pas compliqué, Joey. Je vais dévoiler un faux tuyau devant chacun d’eux et voir si Mario va mordre à
l’hameçon.
— Mais monsieur, comment savoir qui a donné l’info ?
— Bêta va ! Je vais donner un tuyau différent à chacun.
— Ah, je comprends maintenant ! Chapeau, monsieur.
Le piège a apparemment fonctionné. Une mise conséquente avait été signalée sur la cote dévoilée à Ed Helveis. Il n’y a aucun doute
pour Cal Hamitey, c’est Mario qui est derrière le pari. « Le Tordu » jubile, il va faire sa fête à l’Éboueur et rit sous cape du joli tour qu’il a fait à Mario « Le Rat
Zingueur ». Il sort son petit colt bien discret de son tiroir et se dirige vers la salle de briefing. Ce salaud de Ed y est.
Tout va très vite. Cal tient son petit colt derrière le pan de son veston. Ed, devant la fenêtre, se retourne, une main dans la
poche. En ancien enfant des rues habitué à être aux aguets, il perçoit tout de suite le danger et sa main vole à son holster. Une seule détonation. Un corps qui s’écroule.
— C’était de la légitime défense… de la légitime défense, tu as bien vu, Joey.
— Tu… tu es… l’Éboueur…
— Quoi ? Qu’est-ce que tu radotes, Joey ?
Joey prend ses jambes à son cou et rameute les autres gardes. Ed hurle qu’il n’est pas ce foutu Éboueur. Il tombe, criblé de balles.
Les hommes de Cal on vengé leur parrain et éliminé le célèbre tueur à gage.
A suivre
RAHAR