Corentin en a assez, il rumine des idées noires ce soir, il en veut à ses parents qui lui ont encore fait du chantage au dîner : "Si tu ne manges pas tes épinards, le père Noël ne t'apportera rien !" Alors de mauvaise grâce il en a avalé quelques bouchées. Il n'est pas resté au salon, il est dans sa chambre et il repense à ce qu'un camarade fier à bras lui a asséné plus tôt dans la cour de récré : "Si tu crois encore à cette histoire, t'es qu'un bolosse ! C'est les parents qui achètent les cadeaux, le père Noël, son traîneau et ses rennes qui volent dans le ciel de maison en maison, tout ça c'est inventé !" Il n'a rien répondu tout en lui tournant le dos, poursuivi par son rire moqueur.
Comme il est plutôt gentil, lui, Corentin s'est retenu de crier à ses parents "Mais le Père Noël n'existe pas !" parce que devant la joie expectative de son papa et sa maman à l'approche du 24 décembre, il reste troublé. C'est qu'ils ont vraiment l'air d'y croire, eux, ils se demandent même ce qu'ils trouveront de leur côté au pied du sapin et ils n'arrêtent pas de se taquiner mutuellement. Jusqu'à présent, les cadeaux sont toujours apparus au matin, au pied de leur sapin ! Alors ... Ils n'ont pas l'air de mentir ...
Juste au moment où maman entre dans sa chambre pour lui demander s'il n'a pas fini de bouder, il lui vient une idée : il va se confier à grand-père ! Il lance à maman, entre ses dents : "Mais non je ne boude pas, j'ai eu une journée fatigante à l'école aujourd'hui" -Maman, à ces mots, sourit intérieurement car son gamin reprend là ce qu'il les a souvent entendu dire, papa ou elle, en remplaçant l'école par leurs lieux de travail respectifs-, "je me suis disputé avec Matéo". Maman vient mettre ses bras autour de lui et commence à le bercer : "Tu veux me raconter ?" Il se laisse câliner, il se sent déjà plus léger, même plus fort, et il répond : "Non non, c'est une affaire entre lui et moi, on n'est pas d'accord sur quelque chose, c'est tout, j'espère qu'on redeviendra copains sans que les grands viennent s'en mêler ! Mais ... j'ai envie de téléphoner à grand-père ! Il est temps qu'il nous prévienne de quand il arrive ! Je peux ?"
Maman n'insiste pas sur l'affaire Matéo, tout en se promettant d'en surveiller l'évolution discrètement ; elle est fière que Corentin prenne déjà ses responsabilités : "Très bien, Corentin, je te laisse gérer tes affaires tout seul ! Mais oui, au fait, Papi, il exagère, il ne nous a pas encore appelés pour qu'on sache quand aller le chercher à la gare ! Bonne idée, je t'apporte le téléphone, je compose son numéro et tu pourras discuter avec lui à l'aise dans ta chambre !"
***
- Bonsoir Papi !
- Oh, bonsoir Corentin, heureusement que je suis rentré, sinon je te loupais et après il aurait été trop tard pour que je te rappelle.
- Je suis content que tu sois au bout du fil, ah oui ! Parce que c'est urgent et si je ne t'avais pas eu, j'aurais eu du mal à m'endormir.
- Ah ha, voyons ça, je suis tout ouïe, mon garçon.
- D'abord, tu arrives quand ?
- Quoi, je ne vous ai pas prévenus ? Ce n'était pas tout de prendre mon billet, en effet vous ne pouvez pas deviner : j'arrive le 23 à 19h28, à sept heures et demie du soir, donc, mais peut-être me passeras-tu ta maman ou ton papa tout à l'heure ? Tu as raison, c'était urgent de vous le préciser !
- J'ai noté, Papi mais, en fait, il y a une autre urgence ...
- Figure-toi que je m'en doutais un peu, Corentin. Qu'est-ce qui ne va pas ?
- C'est le Père Noël ... Je ne suis plus sûr que ...
- Qu'il passe chez toi ? Mais aurais-tu commis un crime affreux ? Sinon, il n'y a pas de raison qu'il ne passe pas !
- Tu me fais rire, grand-père ! Non, c'est vrai mais j'ai un copain qui s'est moqué de moi et qui dit que le Père Noël n'existe pas et que ce sont les grands qui font croire ça aux enfants. Je n'ai pas osé en parler à papa et maman parce qu'ils ont bien l'air d'y croire, eux !
- Importante question, en effet ! Je vais faire un peu de ... heu philosophie avec toi : certains ne croient que ce qu'ils voient, alors comme le père Noël, il est rare qu'on le voie car ce n'est pas prévu, on ne peut pas leur en vouloir ... La vie est pleine de mystères et de choses qu'on ne voit pas, pourtant elles existent !
- Les virus, les ... heu basctéries, par exemple ! Et toi, tu y crois à ce père Noël ?
- Je t'avoue un secret : oui ! J'y ai cru comme toi quand j'étais enfant, j'y crois encore, même à mon âge ! Pas de la même façon mais je t'assure que c'est vrai. A ta place, je me demanderais si j'ai envie d'y croire et tant que tu auras envie d'y croire, le Père Noël existera.
- Ben, j'ai quand même du mal à croire qu'il entre en cachette la nuit dans les maisons pour apporter les cadeaux, alors qu'ils sont en vente, sur internet et dans les magasins ! Il les achète, lui aussi, avant de les mettre dans son traîneau ? Et il ne peut pas mettre les cadeaux du monde entier dedans ! D'ailleurs Matéo dit que c'est les parents qui achètent les cadeaux ... Même les cadeaux qui sont pour eux ?
- Bien vu, garçon ! Peut-être que les parents, et les grands-parents sont mis dans le grand secret et qu'ils sont complices ! Si c'est le cas, ne compte pas sur moi pour trahir le père Noël qui ne demande pas mieux que d'avoir de l'aide en effet ! Mais ce qui est important, c'est la magie de Noël, quand les humains, les animaux, le Père Noël et les lutins travaillent tous dur à la paix et au bonheur de tous dans le monde. Tu n' as jamais vu de lutins ? Les bactéries non plus et il y en a des gentilles !
- Merci papi ! Je sais quoi répondre à Matéo demain, je lui parlerai de cette magie et je lui dirai tout ça. Je pense que je vais pouvoir dormir tranquille.
- C'est l'heure d'ailleurs ! Passe-moi Maman, ou Papa, maintenant, et fais de beaux rêves. Je t'embrasse !
- Gros bisous, papi !
***
Apaisé, Corentin sombre rapidement dans le sommeil. Ni vu ni connu, un lutin apparaît au milieu de la chambre, l'air malicieux, regarde tout autour de lui, s'empare d'un vieux nounours (autrefois favori) perché sur une étagère et le pose doucement près de l'oreiller du garçon. Au matin, Corentin se redresse, yeux encore mal ouverts, appuie une main sur le côté de son lit pour se lever et rencontre la patte du nounours ... Il est surpris mais ne se sent pas effrayé, le nounours a l'air de sourire même si, normal, il ne bouge pas. Corentin lui serre gravement la patte et lui dit : "Je ne veux pas savoir comment tu es arrivé là, je ne veux pas casser la magie que grand-père m'a expliquée !"
Lenaïg
Défi des Croqueurs de mots n° 156, Lilou à la barre : un conte de Noël - Lenaïg - Le blog de Lenaïg
A la barre de la quinzaine des Croqueurs de mots , Lilou Soleil ! Corentin en a assez, il rumine des idées noires ce soir, il en veut à ses parents qui lui ont encore fait du chantage au dîner :...