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J'aurais pu évoquer le lion dans les hautes herbes caché, non pas à l'affût mais s'abritant du soleil sans doute, car on sait que la chasse est le plus souvent l'exploit des lionnes, évoquer la matriarche pachyderme conduisant sa famille à un nouveau point d'eau tout en conversant avec mamans et petits par infrasons inaudibles aux humains, évoquer le rhinocéros se faisant faire des soins par les petits oiseaux qu'il transporte sur son dos, évoquer le chat qui grimpe à l'arbre pour capturer l'oiseau, qui n'y parvient pas et qui ne sait plus redescendre, j'aurais pu narrer en vers ces touristes qui sauvèrent un lionceau d'un troupeau de buffles désireux de venger les leurs, mais non, je livre mes visions en vrac et en prose et je vais nous présenter un poète que je ne connaissais pas, un "copain" de Ronsard et pas des moindres, en fait ! Quel beau titre de poème : Stances de l'impossible ... Voici un précurseur de la littérature et du cinéma fantastiques d'aujourd'hui, ceci par le biais d'une déclaration d'amour plus qu'originale. Beau et passionnant !
Lenaïg
L'été sera l'hiver et le printemps l'automne,
L'air deviendra pesant, le plomb sera léger :
On verra les poissons dedans l'air voyager
Et de muets qu'ils sont avoir la voix fort bonne.
L'eau deviendra le feu, le feu deviendra l'eau
Plutôt que je sois pris d'un autre amour nouveau.
Le mal donnera joie, et l'aise des tristesses !
La neige sera noire, et le lièvre hardi,
Le lion deviendra du sang acouardi,
La terre n'aura point d'herbes ni de richesses ;
Les rochers de soi-même auront un mouvement
Plutôt qu'en mon amour il y ait changement.
Le loup et la brebis seront en même étable
Enfermés sans soupçon d'aucune inimitié ;
L'aigle avec la colombe aura de l'amitié
Et le caméléon ne sera point muable :
Nul oiseau ne fera son nid au renouveau
Plutôt que je sois pris d'un autre amour nouveau.
La lune qui parfait en un mois sa carrière
La fera en trente ans au lieu de trente jours ;
Saturne qui achève avec trente ans son cours
Se verra plus léger que la lune légère :
Le jour sera la nuit, la nuit sera le jour
Plutôt que je m'enflamme au feu d'un autre amour.
Les ans ne changeront le poil ni la coutume,
Les sens et la raison demeureront en paix,
Et plus plaisants seront les malheureux succès
Que les plaisirs du monde au coeur qui s'en allume.
On haïra la vie, aimant mieux le mourir
Plutôt que l'on me voie à autre amour courir.
On ne verra loger au monde l'espérance ;
Le faux d'avec le vrai ne se discernera,
La fortune en ses dons changeante ne sera,
Tous les effets de mars seront sans violence,
Le soleil sera noir, visible sera Dieu
Plutôt que je sois vu captif en autre lieu.
Amadis JAMYN (1538-1592)
http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/amadis_jamyn/stances_de_l_impossible.html