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  Denis Costa - Photo 05

 

 

 

 

- Ça, c'est votre boulot! c'est à vous de le déterminer... Relisez les affirmations du jeune Degasperi, vous y relèverez bien des contradictions... Il ne faut pas le lâcher le bonhomme, vous comprenez?

 

- Il est évident qu'avec ce funeste rebondissement, je vais interroger de nouveau le garçon... On va analyser ses réactions au décès de Lisa, qui reste encore sa petite amie jusqu'à preuve du contraire... Je vous promets de le serrer le garçon, mais je m'oppose à son inculpation, au moins jusqu'aux conclusions de l'autopsie. De toute façon, à l'heure d'aujourd'hui, on ne sait même pas si Lisa a été tuée dans le verger ou bien sur les rives du fleuve... Et puis... s'il y a eu transport du corps, je ne vois pas comment Matteo s'y serait pris...

 

- Le décès par strangulation est avéré, et la victime ne s'est pas défendue... tout colle... à l'évidence, c'est un homme qui a tué Lisa, et elle connaissait son assassin... Sans compter que l'autopsie accablera le garçon. On retrouvera certainement des traces de son sperme, puisqu'il assume une relation sexuelle avec Lisa, le matin même de sa disparition. Et nous verrons bien s'il y a eu violence ou non...

Commissaire, il faut agir vite, vite et bien! l'affaire est trop grave... Grave et aussi sensible que les polémiques sur le bas-relief de Piffrader, qui secouent aujourd'hui la province!

 

Rizzoli ne put contenir un mouvement de surprise, mêlé d'une certaine contrariété.

Le vice-questeur Thomas Walshofer faisait référence au bas-relief d'un monument de Bolzano, dessiné dans les années quarante par Hans Piffrader, un artiste local, représentant Mussolini chevauchant un noble destrier, le bras bien haut exécutant le salut romain. Cette fresque allégorique, offensante pour la communauté germanophone de la province, durement réprimée par le régime fasciste, devait être dissimulée au regard du public. Mais c'est aujourd'hui la communauté italienne qui proteste, dénonçant une manœuvre hostile de la communauté germanophone.

 

- Que voulez-vous dire, monsieur?

 

- Je ne souhaiterais pas que l'enquête s'éternise autant que le débat sur le devenir de ce bas-relief! J'aimerais éviter que chacun fasse son petit commentaire acerbe par médias interposés et sur les sites de discussion comme Facebook, ce qui raviverait des tensions inutiles...

 

- Je comprends vos craintes sur l'enlisement, et je les partage, mais si j'accepte que vous me mettiez la pression, mes épaules ne seront pas assez larges pour supporter celle de la province et de sa population chauffée à blanc par des affaires qui ne concernent pas la police...

 

- Commissaire, vous savez bien que je serai à vos côtés... Mais moi, je n'aurai personne pour me prémunir du questeur, à son retour de sa conférence à Berlin, ni du préfet qui ne va pas tarder à m'appeler... Quoiqu'il en soit, on verra comment la presse demain matin, commentera la nouvelle. Les presses, devrais-je préciser, car je doute que les deux quotidiens Dolomiten et Alto Adige soient sur la même longueur d'onde!

 

- Ne politisons pas l'affaire, monsieur, et n'en faisons pas un débat inter-ethnique! Rien de tel pour polluer l'enquête... Je vous rendrai compte de l'avancement de nos travaux, en espérant que des indices solides pourront émerger... ça nous faciliterait la tâche!

 

Rizzoli poursuivit l'entretien avec son supérieur hiérarchique, en passant en revue les affaires courantes et en procédant aux nombreuses signatures qui ponctuent son quotidien. Une formalité que le commissaire s'était forcé d'abréger.

 

Il voulut faire le point dans sa tête avant de discuter de l'enquête avec Farina et élaborer une stratégie. En attendant les conclusions du docteur Gruber, serrer le gamin, comme il l'appelait, et étudier plus en détail ses fréquentations, serait son fil rouge. Même s'il refusait de l'admettre, la mise en garde du vice-questeur l'avait ébranlé. Il était désormais convaincu que Matteo pouvait rapidement passer en effet, de l'état de témoin à celui d'inculpé. Il se rappela ses cours à l'école supérieure de police à Rome. Après tout, comme le lui avaient enseigné ses pairs, la majorité des crimes est commise par l'entourage immédiat de la victime, et les affaires sont simples à résoudre, dans la plupart des cas. Il n'y a que les films et les romans policiers, qui s'ingénient à compliquer les intrigues.

 

Après une pause de réflexion, enfoncé dans le canapé en skaï brun qui trônait dans le couloir longiligne du premier étage, l'étage des grands chefs, Rizzoli finalement se releva, s'étira en silence en cambrant le bas des reins, puis il monta quatre à quatre les marches qui le conduisirent à son bureau, au deuxième étage. Farina était déjà là à faire les cents pas.

 

- La secrétaire du patron m'a averti de ta sortie de son bureau, lança l'inspecteur... Alors, comment ça s'est passé? des consignes particulières?

 

- T'as rien d'autres à faire, Salvatore? ironisa le commissaire... jusqu'à preuve du contraire, c'est moi qui te donne les consignes, non?

 

- Ah! je vois que tu es de méchante humeur... s'amusa-t-il, après avoir refermé la porte du bureau.

 

- Non, c'est pas ça... mais la pression, Salvatore, on va en avoir... Walshofer m'a dit qu'il serait à mes côtés, en cas de fermes et bienveillantes sollicitations du microcosme local... Bel euphémisme! Dans sa bouche, ça signifie qu'il me laissera me démerder en première ligne, à encaisser les coups... avant de reprendre éventuellement la main, au cas où je tomberais ko sur le tatamis!

 

- Ben, c'est plutôt bon pour ta carrière, ça sent l'avancement! répondit Farina, qui choisit un registre décidément plus léger.

 

- Qu'est-ce-que tu penses, toi, de Matteo?

 

- Pour moi, c'est un merdeux de première. Il se la pète avec les filles en jouant de son physique avantageux... mais je suis impressionné, il ne lâche rien lors des interrogatoires, et il tient tête... comme un mec tranquille qui n'a rien à se reprocher.

 

- Rien ne te choque dans ses rapports avec les filles?

 

- Si tu veux mon avis, les jeunes, il faut les surveiller comme le lait sur le feu, et papa Degasperi semble absent de la sphère familiale. A part son resto, rien ne le concerne, on dirait... le père est absent, et la mère fait ce qu'elle peut.

 

Le commissaire sourit à cette réponse, qu'il jugea recevable, même si ce n'était pas dans cette direction qu'il voulait aller.

 

- Non! Je te parle de Lisa... pourquoi elle? Pourquoi Matteo est-il sorti avec une jeunette de son âge, alors qu'il se tapait jusqu'à présent, des vieilles de trente ans...

 

Rizzoli se voulut volontairement provocateur, afin d'arracher de son adjoint, une réplique du tac au tac, plus instinctive que réfléchie.

 

- Bah... Je pense que ces derniers temps, il a du se prendre des râteaux avec les vieilles, comme tu dis, et... il s'est sans doute dit, revenons à une drague amoureuse plus... ordinaire, plus conventionnelle.

 

- Donc, tu es d'accord avec moi, Salvatore, il a changé de registre avec les femmes, puisqu'il les délaissent pour s'intéresser subitement aux jeunes filles. C'est exactement ce que je voulais t'entendre dire... Ce qui confond en général les criminels, ce sont justement les changements dans leurs habitudes... Leur façon de faire, de vivre au quotidien, soudain, ne correspondent plus à leurs pratiques d'antan, comme un grain de sable qui aurait tout déréglé...

 

- Alors Guido, tu penses comme les autres maintenant... pour toi aussi, il serait coupable? Le vice-questeur t'a retourné, c'est ça?

 

- Non, et je n'ai rien dit de tel... Je dis simplement qu'il serait opportun d'enquêter plus à fond dans cette direction... Tu files à Lana, et tu travailles le gamin pour en savoir plus sur ses véritables sentiments envers Lisa. S'il nous donne une explication plausible, alors on verra, dans le cas contraire... De toute façon, tu le convoques aussi dans mon bureau pour demain matin dix heures, avec l'un de ses parents. On confrontera alors les deux versions, au cas où la nuit portant conseil, il lui viendrait l'idée de me confier une vision divergente de celle qu'il t'aurait laisser la veille sur sa vie amoureuse...

Moi, je m'enferme dans mon bureau, je vais relire les déclarations des uns et des autres. Je ne veux voir personne cet après-midi, sauf toi, bien sûr, à ton retour!

 

 

Fin de chapitre

 

 

Denis Costa,

Texte et photo

 

Lexique

questura = commissariat de police

tramezzino = sandwich composé de deux pains de mie, à l'intérieur desquels existe une infinité de contenus (viande, poisson, œuf, légume...), mais toujours avec un ingrédient de base: la mayo.

 

 

 

 

Tag(s) : #Denis Costa - Roman en cours d'écriture
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