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Cher Antonin,

 

Pourvu que vous lisiez ma lettre jusqu'au bout, que vous ne la froissiez pas pour la jeter quand vous découvrirez qui est celle qui tient la plume. Telle est ma prière : au moins lisez-moi, comprenez que je n'ai jamais pu vous oublier.

 

Pour  moi, comme pour vous, le temps s'enfuit. Je ne crois pas que vous ignoriez le décès de mon mari, il y a quatre ans, dans un accident de chasse, une chute de cheval due à une branche malencontreuse lors de la poursuite d'un sanglier et je sais, de mon côté, que  cela fait un an que vous êtes veuf. Je n'ai pas la décence d'attendre plus.

 

Je veux faire disparaître les malentendus, laisser parler mon coeur -ce que je ne me suis jamais accordé jusqu'à présent-, ne plus couvrir mes vrais sentiments sous un air d'indifférence et mon sens du devoir. Mon défunt mari vous a congédié dans des circonstances brutales et houleuses dont je ne connais pas les tenants et les aboutissants ; officiellement, il désapprouvait votre façon de gérer le domaine, mais, en fait, il avait remarqué notre tendre complicité, pourtant restée très pudique ; sa jalousie était terrible, même s'il me trompait allègrement sans se préoccuper de savoir si j'avais des soupçons ou pas.

 

L'amour entre mon mari et moi était mort depuis longtemps mais il fallait sauver les apparences et, en ce qui me concerne, je suis restée pour mes enfants. Ils se sont tous envolés du nid à présent. Rien ne me serait plus cher que de vous voir à nouveau venir allumer ce bon feu dans la cheminée du salon, comme vous ne manquiez pas de le faire. Je n'ai jamais demandé au nouveau régisseur de le faire à votre place et les flambées que je m'essaie à obtenir n'ont pas la chaleur des vôtres !

 

Et mon aîné dirige l'exploitation ; il pense abandonner la culture du blé pour se consacrer à l'élevage des chevaux. Il me consulte encore poliment sur les décisions à prendre mais je le devine plein d'assurance et m'en réjouis. Son mariage est prévu pour le début de l'été, je me sens dans l'obligation de rester pour les préparatifs des festivités.

 

Pourtant, après, je compte m'éclipser : j'ai acheté un petit appartement en ville en secret. Tant pis si mon départ du domaine est considéré comme une désertion, j'ai assez donné !  Je veux changer de paysage, me sentir enfin vivante. Est-ce être fleur bleue que de rêver que quelqu'un puisse encore m'offrir une rose rouge ? Me sortir de l'ombre ?

 

Antonin, le vendredi après-midi j'ai pour habitude de me rendre en ville à pied, accompagnée de mon chien. Après un passage à la bibliothèque -mon labrador m'attend sagement assis dehors-, nous allons tous deux profiter du confort de la Grande Brasserie, dans le calme retrouvé qui suit l'agitation du déjeuner des gens pressés.

 

J'en profite pour y écrire mes poèmes. J'y suis aujourd'hui et c'est à vous que j'écris ! Oserai-je caresser l'espoir de vous y voir, vendredi prochain ou un autre vendredi qui vient ? Vous ne connaissez pas encore Pelléas, mon labrador, mais je souris, confiante que vous feriez deux bons amis.

 

Sur cette agréable vision, je vous quitte en vous exprimant mes tendres pensées.

 

Bien à vous,

 

Mélisande

 

 

 

 

Lenaïg

 

Sur les mots imposés du joli défi de Fanfan, ceux de la chanson Ne me quitte pas de Jacques Brel.

 

 

Illustration :

Tableau de Matisse.

 

 

Tag(s) : #Jeux
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