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- Joe ! Joe Kriss ! C’est bien toi, hein ? Tu ne te rappelles pas de moi ? Romain... Romain Baladeuse. On était sur le chantier du vieux de Vries...
- Désolé, je m’appelle Ted Egeulas. Je ne vous connais pas.
 
Romain ne s’estimait absolument pas gâteux. Depuis qu’il avait étudié l’informatique et géré les bases de données du jeune Klotz, son esprit n’avait jamais été aussi alerte ; en outre, sa liaison, quoique épisodique, avec cette diablesse de Dolorès avait donné un bon coup de fouet à son organisme encore vert. Il n’avait pas oublié Joe, aussi compétent dans son travail que boute-en-train en dehors du boulot. Vraiment un brave type. Son esprit vif conclut immédiatement que Joe était dans un quelconque pétrin pour avoir changé de nom et l’avoir délibérément ignoré, lui, Romain. Sa perspicacité avait décelé le trouble fugace dans le regard de son ancien pote.

globe internet L’alerte vieillard avait quitté son île
pour acheter du matériel sur le continent,
et c’était en sortant d’un magasin qu’il était tombé sur Joe Kriss. Romain se résolut à suivre le jeune homme (pour lui, celui qui a moins de la soixantaine est encore un jeune homme) ; il ne sera pas dit qu’il laisserait tomber un ancien ami dans la panade. Tout en dépassant Joe, il lui ordonna dans un murmure de le suivre d’un ton sans réplique. Un coup d’œil dans la vitrine d’une boutique le rassura : après un instant d’hésitation, Joe le suivait à une certaine distance. Romain mena ses pas à la marina et monta sur son yacht (enfin, celui de Klotz, mais c’était tout comme). Il disparut dans la cabine et attendit. A peine deux minutes après, Joe apparut, l’air gauche et visiblement impressionné. Quand il avait travaillé avec Romain, il avait considéré celui-ci comme un grand frère, alors qu’il avait largement l’âge d’être son grand-père ; il est vrai que Romain ne faisait pas son âge. Joe avait maintenant la cinquantaine, mais il avait peu changé… à part quelques rides, une légère bajoue, et quelques cheveux poivre et sel.

- Alors Joe, tu vas te confier, oui ou non ? Que se passe-t-il ?
- Je vois que tu as bien réussi, Romain. Ton yacht est fantastique.
- Ne fait pas le jocrisse ! C’est de toi qu’on doit parler.
- Je suis un évadé, Romain.
- Quoi ! Tu es tombé bien
bas. Qu’as-tu fait ?
- Mais rien ! Je suis innocent.
- Ouais, ils disent tous çà...
- Je te jure
, Romain. On m’a fait porter le chapeau.
- Alors explique-moi.
 
Après avoir travaillé sur le chantier interrompu de de Vries, Joe avait bourlingué de chantier en chantier. Un héritage inattendu lui avait permis de créer sa propre entreprise immobilière. En vingt ans, il avait ouvert trois succursales. Il s’était marié et avait trois enfants. Il avait épousé une fille de la haute sur un
coup de tête, ce qu’il avait regretté amèrement par la suite ; sa femme était frivole et volage, il n’était même pas sûr que tous les enfants fussent de lui. Il s’était alors jeté à corps perdu dans son travail ; s’il ne restait pas tard à son bureau, il faisait la tournée des bars.
 
Un soir, il rencontra dans un bar un type qu’il soupçonnait d’être l’amant de sa femme. Il lui chercha noise et ils s’étaient même battus ; l’assistance avait fini par les séparer et le type s’en fut. Joe était
en chemin pour rentrer chez lui quand il tomba sur le type ; celui-ci était par terre. N’écoutant que son bon cœur, il avait voulu l’aider. Il se redressa les mains pleines de sang : le type avait été poignardé et était mort. il ramassa un bouton de manchette doré qu'il mit machinalement dans sa poche. Des noctambules braillards l’avaient surpris et avaient ameuté les flics. L’affaire fut rondement mené : les clients du bar étaient à charge, les noctambules étaient à charge, Joe était plein de sang et il avait touché le couteau (c’était une bêtise, il le savait), le procès fut rapide, crime passionnel.
 
Au pénitencier, il apprit que sa femme s’était remariée, un mois après le divorce. Il n’eut plus de visite de ses enfant qu’il aimait, même si certain ou certains n’étaient pas de lui (dame, il les avait tout de même élevés). Devant tant
d’injustices, il se mit en tête de chercher à s’évader. Après trois ans de souffrance, ayant subi tous les caprices des chefs de gang des prisonniers (il avait récolté des fractures mal réduites et des hémorroïdes douloureuses), il avait bénéficié de circonstances exceptionnelles en ayant pu s’accrocher sous le camion de la blanchisserie.
 
Il avait pu retirer de l’argent d’un compte secret et s’était fait faire de nouveaux papiers : il s’était lié d’amitié avec certains de ses co-détenus qui avaient des relations. Il était devenu Ted Eguelas, profession : conducteur d’engin. Cependant,
un malfrat l’avait discrètement averti qu’un contrat avait été lancé sur lui,
après son évasion. Malheureusement, il ne savait pas pourquoi ni par qui. Ted ferait mieux de disparaître très loin et à jamais. En outre, il ne savait pas comment s’innocenter, il n’osait pas engager de détective, et d’ailleurs il était sceptique.

- Tu es dans de biens mauvais draps, mon pauvre Joe.
- Ted, appelle-moi Ted désormais. Il y va de ma sécurité.
- Très bien... Ted. Le plus fâcheux est ce fameux contrat. Tu es sûr que tu n’as rien fait pour récolter ça ?
- Je t’assure Romain que j’en suis moi-même surpris.
- C’est bon, je vais t’emmener chez moi cette nuit, et on va essayer de débrouiller tout ça.
 
Romain n’avait aucune difficulté à s’adapter au nouveau nom de son ami, déjà qu’il utilisait le second prénom de Klotz (Georges) à la demande de celui-ci. Il se doutait que Klotz avait une activité secrète et quelque peu inquiétante, au vu des données qui passaient sous son nez ; mais Romain avait confiance en lui, il avait un bon fond.
 
Joe... enfin Ted, revoyait avec nostalgie l'île où il avait travaillé des dizaines d'années auparavant. Il était navré de la mort de la femme de Romain ; il se rappelait les galettes de maïs qu'elle distribuait aux ouvriers pendant les pauses. Il eut un moment d'effarement en voyant la sorte de bunker récemment construit et eut un instant d'hésitation avant d'y pénétrer.

- Mazette ! On se croirait à la NASA. C'est quoi tout ce matos, tu es devenu un espion Romain ?
- Ce n'est pas à moi, je ne fais que l'utiliser. Désolé, mais je ne peux t'en dire plus.
- Tout de même, tous ces écrans, ces pupitres... Ca m'impressionne.
- Laisse tomber, c'est de toi dont on va s'occuper. Mets-toi à l'aise. Bon reprenons les évènements ; le couteau ne porte que tes empreintes, le tueur a dû porter des gants ; le modèle est trop courant pour qu'on puisse en tirer quelque chose... Tu as encore le bouton de manchette ?
- Ouais, le v'là, je l'ai gardé depuis tout ce temps.
- Mais pourquoi ne l'as-tu pas remis à la police ? Il aurait pu faire avancer l'enquête.
- Je l'ai complètement oublié et ne l'ai retrouvé qu'à l'inventaire de mon incarcération. Il était alors trop tard.
- D'accord, on va faire avec... La police n'a pas trouvé d'autre indice...
- P'tin ! Tu peux entrer dans le réseau de la police ? Mais t'es quoi, enfin ?
- T'occupe, restons concentrés... Puisqu'il n'y a pas d'indices matériels, on va consulter ton dossier... Voyons... Alors, le mort s'appelle Harry Cauver, c'est un comptable, marié, deux enfants... C'est curieux, il était dans une rue à l'opposé de la direction de sa maison, par rapport au bar où vous vous êtes querellés. Et puis tu vois ces trainées parallèles, il semble au'on l'ait traîné.
- Alors il semblerait bien qu'on l'ait tué ailleurs et qu'on l'a amené jusqu'à la rue par laquelle je devais passer pour rentrer. C'est machiavélique.
- Sûr. Il faudrait savoir qui aurait bien intérêt à te jouer ce tour de cochon. Qui sont tes ennemis ?
- J'ai eu des ennemis dans ma profession, plutôt des concurrents féroces, mais pas au point de vouloir m'éliminer tout de même. Tout se fait à coup d'influence et de pognon.
- Alors comment explique-tu qu'on ait lancé un contrat sur toi ? Pour qui es-tu dangereux ?
- Mais j'en sais rien, Romain. J'ai bien fait des magouilles comme les autres, mais rien de bien méchant, dans la limite d'une saine concurrence.
- Ecoute Ted, j'ai atteint mes limites et je ne suis pas un homme de terrain. Je dois passer la main à une autre compétence.
- Tu laisses tomber ?
- Mais non, je vais avoir recours à quelqu'un d'autre. Ne t'en fais pas, je le considère comme mon fils.


Auteur : Rahar.
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Images :
teleamodeler.com
globe-internet.com 

 

Tag(s) : #Les nouvelles de Rahar
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