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Petit récit fantastique inspiré d'un fait réel qui présente des zones d'ombre qui n'ont jamais été éclaircies jusqu'ici.
Rahar

Oui, Rahar, mais prévenons ton lectorat que les zones d'ombre que tu évoques ont de quoi glacer le sang ! Des jeunes gens aiment à se faire peur mais parfois ils sont beaucoup trop confiants ...
Lenaïg

UN VERRE POUR IVAN - RAHAR - Nouvelle complète

Iziba est une petite ville côtière de deux centaines de milliers d’âmes. Sa population double en période de vacances, et évidemment, les enfants du pays partis poursuivre leurs études dans diverses universités, font partie des vacanciers. Une partie de la plage est surplombée par une falaise calcaire, et une caractéristique de la ville est que son cimetière est au bord de cette falaise.

Ce n’est pas sa plage qui a fait la renommée de la ville, mais une famille, les Pyrre. Au milieu du XXe siècle, Ivan Pyrre, un immigré slave, avait créé le premier magasin d’accessoires très abordables pour vacanciers, et ensuite pour plaisanciers. Ses héritiers avaient développé l’affaire, et avaient ainsi fortement contribué à la prospérité de la ville. Iziba reconnaissante, avait érigé un monument à la mémoire d’Ivan Pyrre, stèle que la municipalité débarrasse quotidiennement des fientes de pigeon ; c’est dire le respect, voire la vénération que les citoyens témoignent envers leur bienfaiteur.

Il y a toutefois une histoire très peu connue des gens. Vers la fin de sa vie, le vieil Ivan qui avait laissé les rênes de l’affaire à son fils aîné, s’était intéressé à l’ésotérisme. Un sourcier à qui l’octogénaire s’était exceptionnellement confié, avait affirmé que le riche excentrique cherchait un moyen de prolonger la vie. Un libraire spécialisé dans les ouvrages anciens, avait confirmé ce point. Les rumeurs avaient couru, comme quoi le vieil homme faisait de drôles d’expériences dans une aile réservée de sa villa ; certains affirmaient même que ce vieux givré effectuait des cérémonies démoniaques, ceux qui passaient par là disaient voir sourdre des volets de la dépendance, des lueurs verdâtres, puis rougeâtres, diaboliques.

Bien entendu, les gens peu instruits, une bonne partie des habitants, croient dur comme fer que l’étrange richard était devenu un sorcier, et que d’une façon ou d’une autre, il n’était pas vraiment mort. On raconte qu’en vérité, il n’avait pas non plus réellement atteint son but, on dit qu’il se lève la nuit, sort de son mausolée et erre dans le cimetière ; gare alors au noctambule qui s’aventurerait près de la nécropole, le vivant mort — ou le mort vivant selon certains — le harcèlera, le plus souvent jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le monstre — il n’y a pas d’autre mot — doit rejoindre son cercueil à l’aube, avant le premier rayon de soleil.

Les enfants du pays qui reviennent passer leurs vacances dans la ville, forts de leur instruction, se gaussent naturellement des superstitions des indigènes. On pense généralement que l’âge bête se situe à l’adolescence ; en vérité, des étudiants de deuxième année peuvent rester aussi ineptes que des collégiens. L’observation d’un groupe de jeunes est intéressante à plus d’un titre. On peut constater l’installation du mécanisme d’hiérarchie, ainsi que la dégringolade fréquente du QI d’ensemble. Les garçons veulent impressionner, tant les filles que le mâle alpha, les filles recherchent l’attention des garçons.

C’est ainsi qu’un groupe d’étudiants, cherchant quelque chose de nouveau après une journée passée à la plage, se retrouve à chahuter à la terrasse d’un café. Bruno Marce semble être le mâle alpha, hâbleur et tête brûlée. Sur un coup de tête, il lance un défi aussi stupide que risqué : passer la nuit dans un caveau ou un mausolée du cimetière. Il y a bien sûr des protestations, essentiellement féminines, les garçons n’osant pas paraître couards. Car il faut dire que certains, sinon beaucoup d’entre eux ont pour parents des gens peu instruits, quand bien même ils seraient relativement aisés, et ils avaient été élevés dans un environnement de superstition ; malgré leur éducation moderne, il leur reste une très mince couche de doute irrationnelle, dans leur inconscient.

« Même si je ne crois pas aux fantômes, il n’est pas convenable de déranger les morts, argue la plus sensée des filles.

— Mais non, on ne va pas manquer de respect, rétorque Bruno, on ne touchera à aucun cercueil, on ne fera que s’asseoir à la lueur d’une lampe, c’est tout.

— Et que dis-tu du père Ivan ? ose objecter un binoclard à la gueule d’intello. On dit qu’il se balade la nuit et qu’il n’est pas vraiment mort, ni réellement vivant.

— Bah, ce n’est qu’une légende stupide des vieux sans instruction, fait dédaigneusement le crâneur. Vous savez bien que ces gens croient encore que les mouches naissent du fumier.

— Comment ça va se passer ? demande une de ses admiratrices.

— Eh bien, disons qu’on va au cimetière à vingt et une heures, on choisit un caveau qui ne soit pas verrouillé, puis on y reste jusqu’à quatre heures.

— Et si on tombe de sommeil ? objecte une autre fille.

— Le candidat aura une lampe avec des batteries neuves, il peut emporter de la lecture ou un baladeur… Ah, et il aura aussi cette magnifique bouteille de blanc doux.

— Très bien, mais quel sera le trophée ? demanda un garçon.

— On fera une cotisation pour le gagnant… Alors, qui commence ?

— Ben…

— Oh, ça va, bande de trouillards, je vais commencer. »

Il faut dire que le meneur n’a jamais connu la peur, pas même le plus petit vertige ou la crainte des serpents. Un psychologue qu’on consultera, affirmera qu’il y a des gens comme ça, sans qu’on puisse les traiter d’anormaux. Le groupe se donne alors rendez-vous après le dîner, à l’entrée de la nécropole.

Bruno Marce n’affiche aucun sentiment particulier, on dirait qu’il s’apprête à exécuter quelque exercice tout simple. Contre la fraîcheur de la nuit, il a mis un survêt rouge à capuchon. Étudiant en littérature, il a emporté une œuvre de Shakespeare.

« Dis donc Bruno, pourquoi as-tu amené deux verres ?

— J’ai fixé mon choix sur la crypte d’Ivan Pyrre. Je vais l’inviter à trinquer avec moi… s’il le peut.

— Ce que tu fais là est trop téméraire et provocateur, s’exclame la fille raisonnable, horrifiée.

— Pourquoi ? Je crois plutôt que c’est une façon de lui rendre hommage.

— N’oublie pas mon pote, consomme ton blanc avec modération, essaye de plaisanter un garçon. »

Bruno franchit la grille du cimetière, sous le regard du groupe qui reste dehors. Heureusement, la crypte du vieil Ivan, quoique située en plein milieu de la nécropole, est visible depuis l’entrée. Le volontaire ouvre la lourde porte de pierre, entre, puis referme. Un interstice en bas et de petites ouvertures en haut, laissent sourdre la lueur de la lampe à leds, puissante mais économique. Le groupe, composé d’une bonne partie de frileux qui ne veulent pas l’avouer, est plutôt impressionné. Il décide d’attendre une demi-heure avant de se disperser. Les jeunes gens, du moins certains, se donnent rendez-vous à la grille, vers les quatre heures.

UN VERRE POUR IVAN - RAHAR - Nouvelle complète

Curieux, certains membres du groupe n’ont pas omis de régler le réveil de leur portable. Ils se lèvent et s’habillent discrètement sans rechigner, alors que normalement ils font la grasse matinée. Ils sont animés par une curiosité morbide, s’attendant peut-être inconsciemment à quelque incident, voire à une tragédie.

Ils sont sept. Contrairement à ce que l’on s’attendrait, il y a presque autant de filles que de garçons, qui attendent à la grille du cimetière. Quelques uns, ceux qui habitent un peu loin, sont venus à vélo. On consulte la montre de son portable : quatre heures moins quelques minutes. Là-bas, on peut percevoir la lueur diffuse de la lampe.

Le groupe bavarde à voix basse, comme s’il se considérait dans un lieu sacré. Les membres se disent impressionnés par le courage de Bruno. Puisque le meneur n’est pas là, certains avouent sans fausse honte qu’ils n’oseraient pas relever le challenge, il y en a même qui ont peur du noir et surtout de la solitude, la nuit. Quelques uns toutefois, dont la fille raisonnable, se risquent à critiquer la stupidité de l’entreprise, et prédisent que rien de bon ne sortira de cette épreuve inepte.

Brusquement, quelqu’un glapit l’heure : quatre heures et sept minutes.

« Est-ce qu’il serait en train de roupiller ? Ou bien il a pas réglé son réveil ?

— Ah non, je l’ai vu manipuler son portable, et j’ai vu « quatre heures ».

— Il n’a peut-être pas entendu la sonnerie de son portable.

— Tu rigoles ! Sa sonnerie est tellement perturbante que même à bas volume, tu sursauterais.

— Et si son portable était low bat ?

— Mmmoui… c’est possible. Il fait encore noir, alors il attendrait l’aube pour sortir.

— Si on l’avertissait ?

— Ben vas-y, toi !

— Ah non, pas question ! Et puis mon portable n’éclaire pas des masses. Appelons-le.

— T’es ouf, à cette distance, et avec cette porte de pierre, comment veux-tu qu’il entende quoi que ce soit ?

— Et s’il a étouffé par manque d’air ? Il ne se serait rendu compte de rien et se serait évanoui tout simplement.

— Je ne pense pas, il y a plusieurs petites ouvertures, je crois bien.

— Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ?

— Allons-y tous ensemble, les fantômes ne feront rien contre le groupe. »

Sur cette réflexion à la logique discutable, le groupe serré, s’éclairant avec tous les portables, pénètre dans le cimetière. Arrivé près de la crypte d’Ivan Pyrre, il constate que la lourde porte est entrebâillée. Un garçon ouvre en grand. Ils voient alors la lampe allumée et le livre ouvert sur la dalle de pierre, la bouteille de blanc, un verre à moitié vide, et l’autre verre brisé, avec une partie comme écrasée en minuscules morceaux ; il y a encore des traces humides sur la dalle de pierre. De Bruno, point.

« Mais où est-ce que ce couillon est allé ?

— C’est vrai, ça. Il n’y a pas de lune et le cimetière est quasiment noir comme dans un four, il aurait emporté la lampe.

— Aurait-il dormi et serait-il somnambule ?

— Moi qui le connais assez bien, je ne crois pas qu’il le soit.

— Compte tenu des circonstances, il a pu le devenir… Enfin, je suppose, mais je ne suis pas étudiant en médecine ni en psychiatrie. Prenons la lampe et cherchons-le. »

Le groupe a beau chercher Bruno à travers le cimetière, le garçon reste introuvable. Par acquis de conscience, les sept jeunes gens poursuivent les recherches jusqu’à ce qu’une pâle lueur souligne l’horizon. Ils se décident alors à alerter les autorités.

C’est à six heures que des vacanciers matinaux découvrent au pied de la falaise, un corps qui s’est écrasé sur les éboulis calcaires. C’est la dépouille mortelle déjà froide de Bruno Marce. Le légiste qui a examiné le corps désarticulé n’a trouvé aucune marque de violence peri mortem ; en passant, les mains sont intactes et n’ont donc pas pu briser le verre de la crypte. La chute de Bruno Marce au pied de la falaise est absolument inexplicable. D’après le toubib, si le mort avait été somnambule, il n’aurait effectué qu’un trajet qu’il connaissait déjà, il est très peu probable que dans cet état second, il aille de la crypte jusqu’au mur d’enceinte du cimetière, l’enjambe, et saute dans le vide ; quoi qu’il en soit, il y a peu de chance que le garçon ait développé soudainement un somnambulisme, compte tenu de sa stabilité psychique avérée. La police n’a pu non plus expliquer comment le verre a été brisé et écrasé. Aucun humain ne pourrait le faire à main nue… sauf peut-être un adepte du temple de Shaolin, ce que n’était certainement pas Bruno Marce.

Une bonne partie des habitants d’Iziba est fermement convaincue que l’étudiant avait provoqué et nargué le vieil Ivan Pyrre qui lui a infligé une leçon… définitive.

 

Fin

 

RAHAЯ

UN VERRE POUR IVAN - RAHAR - Nouvelle complète

Illustrations choisies par Rahar. La dernière, celle du ver de terre bourré, relève d'un humour bien macabre, maître ! Brrr, je suis une "fille" et pour rien au monde je ne serais entrée dans ce petit jeu-là ! Ah, c'était une lecture à bien nous refroidir par les temps de grosses chaleurs qui règnent actuellement, plus rien à voir avec "La dame de compagnie" qui nous a tant réjouis ! Super suspense, horreur savamment distillée, néanmoins ! Bravo, mais je me demande ce que ces dames tes lectrices en penseront !
Note de Lenaïg

Tag(s) : #Les nouvelles de Rahar
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