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LE NÉCROMANT - 3/4 - RAHAR

Ram était arrivé dans la cité, tôt le matin. D’après les signes laissés par Nèfe, ses ravisseurs étaient des soldats de métier ; logiquement donc, ils devraient l’emmener à leur garnison. Il était relativement facile de localiser celle-ci, et le jeune dessi-maître se mit à faire le guet à un coin de rue non loin, réfléchissant à une stratégie. Deux bonnes heures passèrent à élaborer et à rejeter divers plans, quand Ram vit sortir de la caserne un groupe de personnes, et au milieu d’eux, il vit Nèfe, suivie d’un garçon en lévite noir. Son amie n’était pas entravée et ne semblait pas avoir été maltraitée, mais un malabar armé la serrait de près.

La troupe se dirigeait vers le fleuve ; il était clair qu’elle allait naviguer. Ram se dit qu’il ne pourrait pas suivre un bateau bien gréé avec une barque encore à voler. Il chercha donc autour de lui, et trouva un vélo que son propriétaire venait d’appuyer contre un mur, pour entrer dans un bar. Sans hésiter, l’ado s’empara de la machine et se mit à la poursuite du bateau en suivant tant bien que mal la berge.

 

Peu après être arrivés dans la plaine aux mesas, Nèfe repéra les deux pics qu’elle montra à Gilles. Celui-ci sortit son croquis, vérifia bien que le paysage correspondait, puis ordonna d’accoster.

« Tu as maintenant trouvé ce que tu cherches, argua la rha-compteuse, ramène-moi chez moi. »

Le garçon la toisa avec condescendance et une moue de dédain.

« Nous n’avons pas encore le temps de te ramener, mais tu peux partir, si tu es pressée… à pieds bien sûr, et avec juste ta part de provision, pas plus.

— Espèce de goujat ! J’ai fait ma part, tu dois tenir ta parole, protesta Nèfe.

— Cause toujours, tu m’intéresses… Le bateau ne bougera pas de là ! Vous autres, venez. »

Nèfe réfléchit un moment. Elle pouvait rester se morfondre dans le bateau, évidemment, mais une fierté mal placée l’empêcherait de satisfaire une curiosité naissante. À ce stade, il semblait qu’il importait peu maintenant qu’elle sût le but de l’expédition. Elle décida alors d’emboîter le pas des quatre femmes et des cinq hommes.

Gilles Gamèche houspilla les compteurs pour déterminer l’angle de vue des deux pics du croquis, et déterminer la distance du point théorique d’observation : ce point devrait indiquer le lieu de leur objectif. Nèfe ne put s’empêcher de s’intéresser à leur exercice de trigonométrie de précision et se prit même au jeu.

Ram n’avait pas eu trop de difficulté à suivre le bateau. Il n’y avait bien sûr aucune route, ni même la moindre piste, et le vélo, bien que primitif, avait la solidité d’un VTT, mais le garçon était sportif et avait encore l’endurance de la jeunesse. Il vit de loin sans rien comprendre, l’altercation entre le gamin et Nèfe. Il finit par déduire de leurs mimiques, que la jeune fille était désormais libre et qu’elle pouvait partir à pieds, si elle voulait. Mais elle était restée, ne sachant évidemment pas que son ami Ram était là, et elle s’intéressait même aux activités de ses compagnons obligés. Le dessi-maître se décida. Il descendit de vélo et s’approcha du groupe, le pistolet au poing.

« On ne bouge plus ! Pour ceux qui ne le savent pas, ceci est une arme mortelle.

— Ram ! s’exclama Nèfe, surprise et ravie.

— Ah, voici le sauveur… qui arrive un peu tard, ricana Gilles. Tu peux l’emmener, tu sais, nous avons eu ce que nous voulons.

— Si tu crois t’en tirer comme ça, tu te fourres le doigt dans l’œil jusqu’au coude, sale morveux ! éructa le dessi-maître. Vous allez déjà répondre de rapt.

— Bah, ça se réglera à haut niveau, tu ne penses pas mon gars ? fit le garçon, narquois. En parlant de rapt, est-ce qu’elle est entravée ? N’est-elle pas libre d’aller où elle veut ? Ce sera ta parole contre la mienne, et crois-moi, en tant qu’illustre nécromant, j’ai du poids.

— Ram, range ton pistolet, le pria Nèfe. Je n’ai en fait eu que quelques désagréments mineurs. Et puis leur quête m’intéresse. Ça pourrait aussi t’intéresser, je pense.

— Mais je croyais qu’ils voulaient garder leur magouille secret, objecta le dessi-maître.

— Je ne crois pas que notre objectif vous intéresse, fit dédaigneusement Gilles, vous avez déjà été bénis des dieux, c’est à notre tour de bénéficier de leur faveur.

— Je ne saisis pas, fit Ram.

— Tu comprendras quand nous aurons trouvé, jeta le garçon. »

Finalement, les compteurs tombèrent d’accord sur la localisation, et tout ce beau monde leva le camp pour rejoindre le point calculé ; heureusement, il n’y avait pas de zone radioactive. La curiosité de Ram finit par être titillée, et il suivit le mouvement, bien qu’avec une réticence affichée de gamin boudeur.

Ils tombèrent sur une grande plaque métallique rouillée coincée entre deux chicots de vestige de mur, et partiellement recouverte de poussière. Ce devait être une entrée — ou plutôt une sortie — de secours. Le grand malabar n’eut pas trop de difficulté pour ouvrir l’accès. En voyant les barres d’échelle métalliques rouillées, un bricoleur se félicita d’avoir prévu une solide échelle de corde ; après tous ces siècles, l’humidité avait réussi à s’infiltrer pour corroder insidieusement le métal. Toutefois, la troupe, s’éclairant de torches de fortune, se rendit compte que le long couloir en zigzag avait fortement tempéré l’action de la rouille : la porte métallique suivante n’avait été que superficiellement attaquée.

Ils débouchèrent sur une grande salle de contrôle avec ses pupitres de boutons et de voyants éteints. L’immense pièce était plongée dans la pénombre, une faible lueur du jour provenait d’ouvertures haut placées. La petite troupe tâtonnait en traversant la salle, la lumière des torches ne suffisant pas à faire reculer l’obscurité. Elle avait repéré un rai de lumière de l’autre côté, suggérant la présence d’un autre accès.

À un moment, quelque chose frôla les cheveux d’une compteuse qui émit un cri de souris effrayée. Le jeune Gilles glapit comme une vierge sur le point d’être violée : son bras venait d’être méchamment griffé. Dans la faible clarté, personne n’avait pu distinguer quoi que ce fût. Seule Nèfe avait cru ressentir, plutôt que voir, une présence, surtout par le léger déplacement d’air.

« C’est ce que je redoutais, bredouilla un compteur, cet endroit est hanté par les esprits des anciens. Maître Gilles, en tant que nécromant, tu devrais être capable de les apaiser et d’obtenir leur faveur.

— C’est ça votre fameux nécromant ? fit Ram surpris, il ne semble pas être dans les petits papiers des esprits qui paraissent vouloir le tailler en pièces, railla-t-il.

— Espèce de mécréant ! s’insurgea une bricoleuse, maître Gilles a été pris par surprise, il va se concentrer et régler le problème.

— Je ne pense pas qu’il ait besoin d’effectuer ses simagrées, intervint Nèfe, je crois que ce sont des chauves-souris ou des hiboux qui ont été dérangées. »

Ram partit d’un rire peu charitable, se moquant ouvertement de ce petit nécromant qu’un rien sortant un peu de l’ordinaire effrayait comme une gonzesse. Il donna l’exemple en agitant sa torche pour éloigner les bêtes volantes. Oubliant instantanément leur différend, Nèfe aida à donner les premiers soins au garçon blessé ; on ne put que nettoyer et laver ses plaies avec l’eau des gourdes, personne n’ayant eu l’idée d’emporter une trousse de soins.

Vers le milieu de l’immense salle, ils tombèrent sur la vraie entrée. Elle était obturée par un éboulement. Nèfe reconnut alors la valeur du jeune nécromant qui avait repéré l’issue de secours. Ils rejoignirent finalement l’autre accès qui les mena plus bas, dans la salle des machines. Les bricoleurs déballèrent précautionneusement des livres enveloppés dans des pièces de tissu, et les consultèrent en s’échangeant des commentaires. Ram lisait par-dessus leur épaule, très intéressé. Donc ils avaient devant eux des alternateurs qui devaient produire de l’électricité. Mais les turbines destinées à les faire tourner, devaient être alimentées en eau. Ainsi, ils étaient à l’intérieur d’un ancien barrage tari. Mais où était l’eau ?

 

A suivre

 

RAHAЯ

Illustration :
Les esprits des anciens dans les souterrains, probablement des chauves-souris, cueillies en vol sur une photo de Le Devoir du Québec :

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Tag(s) : #Les nouvelles de Rahar
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