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FRONTIERES

Nouvelle fantastique
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http://samiadu71460.centerblog.net/3067-grimoire

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— Oh docteur, vous êtes enfin arrivé !... C’est terrible !...

— Bonjour madame Claune, calmez-vous… Je suis là… Au téléphone, vous étiez très agitée et confuse, dites-moi calmement ce qui s’est passé.

— Oui… Oui… Allons à la bibliothèque, Sydney y est avec l’inspecteur.

— Ah, vous avez appelé la police.

— Oui… Docteur, Carole a disparu !

— Sy, voici le docteur Bahn… Docteur, l’inspecteur Menaute.

— Dites-moi ce qui s’est passé… Sydney ?... Inspecteur ?

— Carole a disparu, Ray. Hier, elle s’est couchée comme d’habitude, et ce matin, elle n’est plus là.

— On peut envisager deux hypothèses : soit qu’elle ait été enlevée, ce qui semble assez peu probable car on n’a trouvé aucun indice en ce sens, soit qu’elle ait fait une fugue, ce qui est le plus plausible.

— Elle ne sait pas ouvrir une serrure, inspecteur. Et si elle était sortie par une fenêtre, on en aurait vu une non verrouillée. D’ailleurs, vous n’avez relevé aucune trace ni devant, ni derrière la maison.

— Comment ça une jeune fille de dix-sept ans ne peut pas ouvrir une serrure ? Vous vous moquez de moi, monsieur Claune.

— Je vous rappelle que notre fille est autiste, inspecteur.

— Je suis Carole depuis ses dix ans, inspecteur. J’ai réussi à la faire parler, à avoir un minimum d’interaction avec son environnement. Mais elle a toujours besoin de quelqu’un pour l’accompagner dehors. Seule, elle serait désorientée, probablement stressée, et se perdrait.

— C’est vrai inspecteur, j’ai cessé de travailler il y a sept ans, et c’est mon mari seul qui pourvoit à nos besoins. Heureusement qu’il a une bonne situation. Et puis je ne vois pas pourquoi on enlèverait notre fille, nous ne sommes pas riches.

— Et comment un psychiatre pourrait-il nous aider à retrouver votre fille ? J’ai visité sa chambre, je n’ai trouvé aucun indice exploitable… C’est curieux, j’ai vu toute une étagère de livres de fantasy ; elle semble lire beaucoup.

— Eh oui, inspecteur. Je ne lui ai décelé aucun don particulier comme chez les calculateurs prodiges, les musiciens de talent ou les peintres de génie, depuis qu’elle a appris à lire — assez tardivement — elle dévore presque toutes les parutions de ce genre.

— C’est vrai inspecteur, j’ai bien essayé de varier sa lecture, mais elle s’était énervée. Je n’ai pu la calmer qu’en nous abonnant à un éditeur de cette littérature. N’est-ce pas Sy ?

— Ne croyez-vous pas docteur que la jeune fille soit guérie et qu’elle a fugué pour… hum explorer le monde ?

— L’autisme n’est pas une maladie, inspecteur, c’est un état. On ne peut, tout au plus, qu’améliorer l’interaction avec l’environnement. Je pense que ce que j’ai effectué sur Carole en sept ans est le maximum que l’on puisse jamais faire.

— Alors, je ne vois pas comment elle a pu disparaître.

— Et si elle avait été enlevée par des extraterrestres ?

— Allons Cynthia, ne sois pas ridicule.

*

— Oui Ray, Carole est revenue. On ne sait pas comment, mais elle est dans sa chambre.

— Comment a-t-elle vécu pendant ces trois jours, Sydney ?

— On ne sait pas. Elle est en déshabillé, elle est en forme. Cynthia est avec elle.

— Ah docteur, vous voilà ! Je suis désemparée, Carole ne veut rien dire, elle ne fait que chantonner, avec un sourire… idiot.

— Laissez-moi seul avec elle, voulez-vous ?

*

— Carole, c’est moi, doc Ray. Parle-moi, dis-moi où tu es allée ?

— J’ai franchi le portail, doc. Je n’ai pu le faire qu’il y a soixante-douze heures et trente-deux minutes.

— Quel portail, Carole ?

— Il est là, contre le mur. Cela fait cinq mois, quatre jours, trois heures et quatre minutes qu’il m’a nargué. Je l’ai finalement ouvert.

— Mais je ne vois rien, Carole. Il n’y a que le mur.

— Ah… C’est curieux.

— Qu’y avait-il au-delà de ton… portail ?

— Un pays magnifique… Plus extraordinaire que dans les livres que j’ai lus.

— Mais tu étais où exactement ?

— je ne sais pas trop… On m’a dit que j’étais en Sydonie… Mais c’est terrible, on m’a dit qu’il y a des guerres comme ici… Toutefois, là où j’étais, la paix régnait… Mais il y avait des tournois, des jeux, du théâtre. Et il y avait mon beau prince.

— Et tu y vivais en déshabillé ?

— Oh non ! Le prince — mais il dit qu’il ne l’est pas — m’a fait faire de beaux habits. Bien sûr, quand je vais dormir, je me mets en déshabillé.

— Et pourquoi es-tu revenue ?

— Je voulais revoir papa et maman… Hier, le prince s’est marié avec moi. J’ai eu un peu mal et c’était un peu déplaisant… Mais il a dit que ça finira par me plaire. J’espère qu’il a raison.

— Tu veux dire que vous avez fait… l’amour ?

— Ah, c’est donc ça ?

— Pourquoi n’amènerais-tu donc pas ton… prince ici ?

— Oh, il m’a dit qu’ils sont incapables de franchir la frontière.

*

Le mystère de la disparition et de la réapparition de Carole n’a jamais été résolu. Elle est tombée enceinte et elle s’est entêtée à répéter que c’était le « prince » qui l’avait engrossée. Les Claune et l’inspecteur ont supposé que l’esprit de la jeune fille était perdu dans un monde imaginaire, fruit de ses lectures fantastiques. Le docteur Ray Bahn a émis l’hypothèse saugrenue que Carole avait le don de franchir les dimensions, don qu’elle a perdu à cause de son état, probablement par l’influence des hormones. Mais il n’y croyait pas lui-même.

Un enfant extraordinaire est né. Ses yeux sont argentés, son teint est cuivré et ses cheveux noirs ont un reflet bleuté. Ray Bahn aurait voulu faire faire une analyse ADN, mais il n’est qu’un psychiatre sans influence suffisante. Carole, malgré son état, est devenue une excellente mère. Mais elle est devenue également une peintre de génie, ayant le style de Nicolas Poussin. Ses tableaux se vendent très bien, et les éditeurs de SF et de fantasy sont les premiers à acquérir les droits de reproduction pour leurs couvertures.

Ray a été intrigué par certaines toiles. On y voyait des lanciers caparaçonnés sur des montures reptiliennes hauts sur patte, des chevaliers en armure de carapace de tortue, de gentes dames en vêtements colorés et diaphanes, et surtout un jeune homme au teint cuivré, aux yeux argenté, à la longue chevelure noir bleuté, dans de riches vêtements de brocart. Rien de tout cela n’a été décrit dans les ouvrages de fantasy que le docteur a pu lire. Un détail l’a fait tiquer et il s’est rué chez un ami astronome. Un des tableaux, intitulé « Nuit de Gormon » montrait une nébuleuse parfaitement reconnaissable : Barnard 33, plus communément appelé la Tête de Cheval, dans la constellation d’Orion, invisible sans télescope, appareil que ne possèdent pas les Claune. Carole avait-elle vraiment le don de se balader dans d’autres dimensions ? L’aurait-elle encore quand elle cessera d’allaiter ?

Trois ans plus tard, les Claune ont averti le docteur Ray Bahn que Carole a encore disparu avec son enfant. On ne les a plus retrouvés.

 

RAHAR

Tag(s) : #Les nouvelles de Rahar
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