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Denis Costa - Photo 1 

 

 

 

Le commissaire aurait très bien pu apporter lui-même la réponse à sa propre demande, mais il voulut se prémunir contre un éventuel désaccord du couple dans l'analyse que tous deux faisaient de la situation. Il voulut s'assurer d'être à l'unisson de sa femme, afin de renforcer sa propre conviction.

 

- Oh c'est très simple amore, les Degasperi sont italiens, alors que les Innerhofer sont allemands, et tu sais comme moi, qu'à Lana, la population est à très forte majorité allemande, ils vont tous se liguer contre les Degasperi, par simple atavisme!

 

C'était en effet l'exacte réponse à laquelle le commissaire s'attendait. Rizzoli s'était affalé sur le canapé, les mains croisées sous la nuque qui butèrent contre le dossier du sofa. Hormis dans la ville de Bolzano, où résidaient les Rizzoli, et dans une moindre mesure dans celle de Merano, les Italiens étaient très minoritaires dans cette province, jadis autrichienne.

 

- Sans compter, ajouta Rizzoli, que les Degasperi sont propriétaires de leur restaurant! Quand on pense que la quasi totalité des terres et des hôtels appartiennent aux Crucchi, y'a de quoi attiser des jalousies, non?

 

Le terme Crucco, utilisé par ses compatriotes, désigne les Allemands en général, mais de façon peu amène, avec l'intention d'exprimer une certaine rancœur, bien ancrée dans la conscience populaire, en souvenir des funestes exactions commises par les troupes nazies pendant la seconde guerre mondiale. Dans la bouche de Rizzoli, en revanche, rien de dépréciatif. Ses parents, originaires de Milan, étaient beaucoup trop jeunes pour avoir souffert de la guerre, et de leur jeunesse, ils n'avaient transmis au petit Guido et à ses sœurs, que la frivolité des années trente, la virile fierté d'être italien, et l'opulence d'une bourgeoisie en pleine essor.



Rizzoli avait lâché ce terme pour parler des Tyroliens de souche, comme il aurait pu dire en d'autres circonstances, les Mangiapolenta, qui désignent ironiquement ses compatriotes du nord de l'Italie, ou les Terroni, ses compatriotes du sud. Le commissaire Rizzoli partageait la conviction que, malgré ses insuffisances, l'autonomie de la province du Haut-Adige, que les germanophones appellent Tyrol du sud, était la meilleure voie, sinon la seule, pour assurer une cohabitation harmonieuse entre les deux communautés, et il détestait les extrémistes de tous bords qui allumaient des brûlots pour déstabiliser ce bel ensemble institutionnel.

 

***

 

Alice dessina une moue dubitative, celle qui de ses lèvres, creuse plus significativement encore, sa fossette droite, apparue suite à une méchante chute dans les escaliers de son immeuble, lorsqu'elle était bambina.

 

Rizzoli la sollicita encore:

 

- Alors, tu crois que la police n'est pas capable de faire la part des choses, et d'enquêter équitablement, à charge et à décharge?

 

- Je crois que l'homme est ce qu'il est, et que ses instincts les plus vils se réveillent, à peine tu lui chatouilles le bout du nez.

 

Alice était sceptique par philosophie, sinon par naissance... Elle doutait de tout, des institutions, de la police, de la justice, des hommes politiques, des hommes en général. Elle cultivait le doute du matin au soir, au contraire de Rizzoli qui se raccrochait au quotidien, au vécu, au réel, sinon à la réalité concrète des choses, comme le naufragé s'accroche à sa bouée de sauvetage. Pourtant, Alice avait réussi à trouver un poste de professeure d'informatique à l'université libre de Bolzano, ce qui n'était pas si facile, pour qui venait de Milan. Rizzoli éprouvait de la fierté pour Alice qui reconsidérait toute chose, sauf elle-même, mais qui avait réussi là où beaucoup de ses congénères auraient lâché prise, dans une société peu encline à faciliter le travail des femmes. Tout semblait facile pour Alice, elle fonçait droit devant à la conquête de son objectif, tandis que lui, avait toujours entrouvert les portes en s'excusant, une main moite rivée à la poignée. Il en ressentait une certaine jalousie, voire un réel ressentiment les jours où leurs deux caractères s'affrontaient.



*** 



- Tu entends Alice? … c'est la cloche de l'église du Christ Roi qui sonne les huit heures. A cela, tu ne pourras rien changer... Il est temps de dîner, je pense.

 

- Oui, répondit Madame Rizzoli, et ce soir Guido, ton estomac se contentera d'un repas froid. On mange à l'allemande, charcuterie, fromage et salade, arrosés de bières Forst bien fraîches!

 

- Ça me va trésor, d'ailleurs nos adorables jumeaux ont mis la table...

 

***

  

Denis Costa, 

Texte et photo 

 

Tag(s) : #Denis Costa - Roman en cours d'écriture
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