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TETES PARLANTES - 3/5 - RAHAR

— Billy, pas de cachotteries, que s’est-il vraiment passé ?

— Sais-tu que ces émeraudes sont les plus extraordinaires que j’aie jamais vu ? Leur pureté et leur taille ne t’ont pas impressionné ?

— Bon, je te le concède, je les trouve très belles, même si je ne suis pas un expert. Mais comment avez-vous trouvé la mine ? Ne me dis pas que le sorcier vous l’a offert sur un plateau à l’article de la mort, je ne le croirais pas un seul instant.

— Eh bien, on lui a un peu tiré les oreilles.

— Billy ! Que lui est-il vraiment arrivé ?

— C’est Manoel qui a tout fait, enfin presque.

— Senhor Billy, c’est vous qui avez donné les instructions.

— Allez, raconte Manoel.

— Ben le senhor Billy m’a dit comme çà qu’on pourrait devenir riches, très riches, si on faisait parler le chaman. La recherche des plantes n’était qu’un prétexte pour isoler l’homme. Je l’ai saisi et attaché à un arbre et je l’ai bâillonné… et c’est tout.

— Alors Billy, je suppose que tu l’as torturé.

— Ben… il nous fallait la position de la mine. Il était âgé et je n’ai pas eu à trop appuyer.

— Et puis vous l’avez liquidé… comme çà, couic ! Je ne te savais pas si cupide. Mais tu es déjà riche, pourquoi en venir au meurtre pour ces misérables cailloux ?

— Écoute, ma passion c’est le jeu. J’étais riche, mais le jeu m’a presque ruiné. Et je me suis habitué au luxe. Tu sais, la villa que je viens de faire construire n’est pas terminée : je n’ai pas pu payer l’entrepreneur.

— Je ne veux pas être mêlé à ce meurtre.

— Ne t’en fais pas, j’en endosse toute la responsabilité.

— Et que se passera-t-il ?

— Mais… rien. Qui irait se soucier de ces indiens perdus au fin fond de l’Amazonie ? Les Tupiris ne se doutent de rien, j’ai eu le trait de génie de leur rendre le collier du sorcier. Tu te rends compte, ce crétin de Manoel voulait le garder ; ç’aurait été signer son méfait.

 

Je ne suis qu’un homme, avec ses faiblesses. J’ai mis ma conscience dans ma poche avec un mouchoir par dessus. Je n’ai pris que quelques petits éclats d’émeraude, alors que les deux autres s’en sont mis plein toutes les poches, ils se sont même légèrement blessés à la main gauche. Les porteurs ont fait comme moi ; ils ne sont pas trop rassurés. La fièvre de la pierre verte a balayé comme fétu le projet initial de recherche des indiens inconnus. Billy n’a plus en tête que le retour vers la civilisation.

La nuit est venue et on a dressé les tentes dans une clairière, une pour Billy, une autre pour moi, et enfin une plus grande pour deux personnes ; l’un des caboclos doit faire la garde à tour de rôle.

Je faisais un rêve plein de merveilles quand le porteur qui était de garde m’a secoué silencieusement, mais sans ménagement. Je regarde ma montre : il est minuit. Agacé par l’interruption de mon si beau rêve, je ronchonne.

— Mmh… Quoi qu’y niâ ?

— Senhor, il se passe de drôles de choses dans la tente du senhor Billy.

— O que acontece ? Que veux-tu dire José ?

— C’est que le senhor Billy semble se quereller avec quelqu’un dans la tente.

— Qui, Manoel ?

— No senhor, eyo sais pas, mais c’est une voix nasillarde et haut perchée. Et ça parle quechua. Eyo savais pas que le senhor Billy parlait le quechua.

— Mais non, où l’aurait-il appris ? Allons voir.

Arrivés à la tente de Billy, nous n’avons entendu que le silence. Il n’y a pas de lumière, le bougre dormait. Et il ronflait.

— Alors José, on se drogue en douce ? Tu as eu des hallucinations ?

— Mais vous jure, senhor…

— Assez, laisse-moi pioncer en paix maintenant. Que je ne t’y reprenne pas.

Une bruine maussade m’accueille le matin. Je m’étire quand même comme un chat sous le crachin tiède. Je vais réveiller cette marmotte de Billy et lui en raconter une bien bonne au sujet des billevesées du porteur. Alors que je suis près de la tente de Billy, j’aperçois pas loin une sorte de petite boule noire par terre. Je m’approche. Mes cheveux se dressent : c’est une tête réduite. Mais le plus effrayant, c’est que c’est vraiment une tête avec tous ses os, pas seulement une peau réduite comme le font les Jivaros. J’ameute le camp et exhibe l’horrible trophée. Personne ne moufte. Les caboclos ne savent rien sur une quelconque tribu de nains coupeurs de tête. Billy clôt l’incident en nous houspillant : il a hâte de rentrer et ne tient pas à jouer les détectives anthropologues.

A suivre

RAHAЯ

Tag(s) : #Les nouvelles de Rahar
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