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MON BEAU SAPIN (bis) - (1/2) - RAHAR

MON BEAU SAPIN 1ère partie, écrite par Rahar en décembre 2011, se trouve : ici.
Lenaïg

***

Je finissais de ranger la paperasse du magasin de stockage, quand Marcus entra en trombe en braillant qu’il avait besoin de deux cartons de cheddars, tout en agitant son bon de sortie comme un fanion.

— Tu me les casses Marcus, tu pouvais pas venir dix minutes plus tôt ? Tu vas retarder ma sortie.

— Eh ho ! C’est pas ma faute, mon pote. Plains-toi auprès du boss. T’inquiètes, je fais fissa, je sais où c’est.

— Alors grouille, je dois rejoindre Judith au supermarché.

— Dis, c’est vrai que vous allez inviter le boss demain soir ?

— Qui t’a dit ça ?

— Oh, j’ai entendu des choses.

— Comme quoi donc ?

— On bavarde, on bavarde et je te retiens. Je vais me grouiller.

Marcus s’empressa de filer vers l’étagère des cheddars en éludant ma question. J’avais perdu mes illusions il y a peu. Je n’étais plus le grand naïf qui regardait la vie avec les yeux de la bécasse optimiste. Une bonne partie du personnel, sans m’être réellement hostile, me toisait avec un certain mépris plus ou moins dissimulé ; personne cependant ne me traitait ouvertement de lèche-bottes. Je constatais aussi le regard en coin d’un autre groupe, et je savais pertinemment ce que cela signifiait.

J’avais un sérieux motif de me comporter avec un empressement quasi servile, vis-à-vis de monsieur Happain. Je ne veux pas rester magasinier de l’usine de transformation laitière, sans possibilité de promotion. Cette ambition soudaine avait bien sûr été provoquée par certains évènements.

Judith et moi nous étions mariés un peu trop vite. Je n’étais pas assez mûr pour m’être rendu compte qu’on ne vivait pas d’amour, d’eau fraîche et d’un petit salaire. Ma sœur m’avait alors incité à reprendre mes études. C’était possible, car ma fonction me donnait assez de loisir pour bouquiner et rédiger les devoirs nécessaires. J’ai dû d’abord m’introduire dans les petits papiers du boss Happain pour qu’il ne trouvât aucune objection à ce que j’étudiasse au boulot. Je l’invitai souvent chez nous pour arrondir les angles et en vantant les qualités de cordon bleu de Judith.

MON BEAU SAPIN (bis) - (1/2) - RAHAR

Le lendemain, j’étais de l’équipe de nuit. Judith avait préparé mon chandail, il ne faisait pas chaud dans le magasin de stockage, en cette saison. Une sonnerie à la porte. Mel Happain était à l’heure. Ce n’était pas ce qui m’inquiétait. Il apportait une bouteille de Glenfiddich. Je poussai discrètement un soupir de soulagement. Judith l’installa dans le confortable fauteuil de notre petit salon. Avec empressement, j’approchai le petit radiateur à gaz.

— Je m’excuse, monsieur Happain, nous n’avons pas encore de vrai radiateur, et il fait si froid.

— Mais non Benoît, ça va comme ça, je n’ai pas vraiment froid.

Alors que je surveillai la cuisson du dîner, Judith et Happain faisaient un sort à la bouteille de whisky. Moi je ne buvais qu’un soda, rapport au taf de nuit. Quand je revins au salon, l’alcool avait été sérieusement entamé. La jupe de Judith était légèrement remontée et un peu froissée, montrant en partie ses merveilleuses cuisses. Happain avait déboutonné le col de sa chemise.

— Allons Benoît, prenez donc un verre de ce bon whisky.

— Merci monsieur Happain…

— Appelez-moi donc Mel.

— Merci… euh Mel, mais je préfère mon soda. N’oubliez pas que je suis de l’équipe de nuit, l’alcool me ferait faire des bêtises, et vous ne voudriez pas que j’en fasse, n’est-ce pas ?

— Ah, vous avez un mari très sage, ma chère Judith. Trinquons donc à sa sagesse.

Le dîner avait été parfait, comme toujours ; je ne savais pas d’où Judith sortait ses merveilleuses recettes. Il n’y avait pas eu de vin, mais Mel ne s’en était pas formalisé.

— Ce somptueux dîner mérite bien un bon digestif… Mais la bouteille est vide.

— Ne vous en faites pas mon… euh Mel, je vais vous en chercher, le magasin n’est pas encore fermé.

— Mais chéri, tu vas être en retard au boulot.

— T’inquiète, je ne serais pas long. Tiens bien compagnie à notre hôte.

J’avais constaté que Judith s’était mise à boire — oh, un petit verre le soir — prétextant que ses élèves la tournaient en bourrique des fois. À propos, nous avions décidé d’un commun accord que nous devions attendre encore avant d’avoir un bébé.

En chemin, je rencontrai Jarvis. J’aimais bien le vieux Jarvis, il était du genre « vivre et laisser vivre », parfois il faisait des allusions tellement discrètes que même s’il vous annonçait que vous aviez mouillé votre pantalon, vous n’en étiez pas choqué. Il me parlait justement de l’histoire du chasseur qui allait à la chasse. Je lui répondis que tout allait bien dans le meilleur des mondes en feignant de ne pas comprendre.

Quand je revins avec la précieuse bouteille de Grant, Judith et Mel étaient assis sur le canapé. La jupe était un peu plus froissée et la chemise de mon boss Happain bâillait encore plus.

— Chérie, j’ai juste le temps de me brosser les dents, aurais-tu la gentillesse de sortir mon écharpe ?

— D’accord Benoît, je te prépare l’écharpe de laine bleue.

La voix de Judith était un peu traînante. Dame, une bouteille pour deux ! Parfait. Je filai rejoindre mon poste.

A suivre

RAHAR

Source des illustrations : voir sur les photos.

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