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J’ai repris l’hypothèse de Ninie, selon laquelle le vieux d’Omier aurait craint des conséquences catastrophiques et durables du fameux krach boursier, et aurait acquis des valeurs sûres, une poire pour la soif en quelque sorte. Heureusement, l’économie s’est finalement redressée. Je veux aussi vérifier si de gros aménagements secrets ont été effectués. Pour l’occasion, j’ai emporté un détecteur de métaux, pour le cas où de l’or ou d’autres métaux précieux ont été enterrés.
La petite propriété ne paie vraiment pas de mine. Elle n’est pas entièrement rectangulaire : une petite poche inclut de façon incongrue, un vieux châtaignier. La maison basse elle-même n’est pas luxueuse comme l’on s’y attendrait. Je trouve tout cela fort louche. Et pourtant, les documents sont tout à fait conformes et absolument normaux.
La visite de l’habitation est brève : un living, une cuisine à l’américaine, un bureau-bibliothèque et une chambre à coucher. Les murs ne recèlent aucun coffre fort. Dans la cave, il n’y a que quelques bouteilles de vin, et le détecteur de métaux est resté muet. Nous vidons les tiroirs du bureau et consultons les papiers. Nous ne trouvons rien d’intéressant. Je décide alors d’explorer le petit jardin. Une simple pelouse en fait. Promener le détecteur va être fastidieux, mais il faut passer par là.
Je vois une pie sur une branche du châtaignier. Elle nous toise avec circonspection. Je scrute machinalement l’arbre, je n’y vois pas de nid. Ninie me presse de commencer le boulot. J’entame un itinéraire en zigzag, attentif au moindre signe du détecteur.
À la moitié du terrain, je fais une pause et lève la tête. Mon regard percute celui de la pie. Elle m’intrigue : elle n’a pas de nid à garder, elle ne cherche pas à bouffer, elle voit bien que le détecteur ne sert pas à retourner la terre pour faire sortir les vers, elle ne fait que nous surveiller. Alors que je me rapproche de l’arbre, elle se met à crier. Si j’étais un éthologue, je dirais que l’oiseau hésite entre l’attaque et la fuite ; la pie ne veut pas que je m’approche du châtaigner.
Je remarque alors un grand trou dans le tronc de l’arbre. Je délaisse le détecteur et m’approche du châtaigner. Le volatile pousse un cri plaintif et va se réfugier sur une branche plus haute. Ce trou est trop bas, pour être le nid d’un écureuil ou d’un loir. J’y plonge la main. Pourvu que ce ne soit pas un nid d’abeilles ou de frelons.
Je ramène un petit sac noir. Je tique : c’est le genre de sac en tissu doux pour le transport de pierres précieuses, surtout du diamant. Sophie et Ninie ont accouru précipitamment. Le lacet du sac est défait, je verse le contenu dans ma main. Un petit diamant ! Rien qu’un ! Ninie qui a enfin compris la manœuvre de la pie voleuse, lance un regard meurtrier à l’oiseau.
« Donc mon père a acheté des diamants et les a cachés dans le tronc de cet arbre, déduit Sophie. Mais la pie les a trouvés et les a pris un à un, elle allait prendre le dernier.
— Minute ! s’exclame Ninie, si je ne m’abuse, ce sac pourrait contenir une douzaine, voire une quinzaine, selon leur taille. Vous ne croyez pas qu’elle en a déjà assez pour vouloir encore celui-ci ?
— C’est plutôt insolite, je l’admets, fais-je.
— Et si on cherchait son nid ? suggère Sophie, on pourrait retrouver les autres diamants.
— On peut toujours essayer. Lock, je vais la chasser, regarde où elle va. »
Je sors mes petites jumelles de théâtre et fais signe à Ninie, laquelle fait des moulinets avec son écharpe. La pie effarouchée s’envole ; de toute manière, elle sait qu’elle ne peut plus récupérer le diamant convoité. Je la vois se diriger vers un petit bosquet, à une centaine de mètres. Nous traversons la lande vide. Il n’a pas été difficile de repérer le fameux nid. Je me sacrifie pour grimper dans l’arbre, sous les cris véhéments de la pie.
Interloqué, je ne vois qu’un seul petit diamant. Je comprends maintenant son insistance pour obtenir le dernier dans le sac : elle-même s’est fait probablement voler par d’autres pies. Je redescends le cœur plutôt gros : adieu l’éventuelle grosse prime de découverte. Il serait déraisonnable de chercher tous les nids de pie. Mais je constate soulagé, que Sophie n’est pas autrement affectée. Il est vrai qu’elle est déjà fortunée.
« Monsieur Lock, vous pouvez garder ces diamants, fait-elle, bonne princesse.
— Est-ce bien raisonnable ? Mes honoraires sont déjà assez conséquents.
— Et nous ne rendons pas les arrhes, intervient intempestivement Ninie.
— Bah, ce n’est pas comme si je m’étais attendue à ces pierres précieuses. Je vous ai payé pour des explications, je suis satisfaite. »
*
« Mais qu’est-ce que tu attends pour l’inviter, Lock ? Elle n’attend que ça, crois-moi, je te parle en tant que psychologue. Aurais-tu peur d’être rejeté ?
— Euh… Crois-tu qu’elle pourrait me considérer comme un type intéressé ?
— Mais non, que vas-tu chercher là. Tu as ton rang et tu gagnes très bien ta vie. Allez, du courage mon cher Lock.
— Ben, j’attends aussi que mon diamant soit serti. J’espère que le modèle lui plaira.
— Petit cachottier ! Tu t’es déjà préparé… Je peux te recommander le bijoutier qui a monté le mien.
— Trop tard, ma petite Ninie, il sera terminé à seize heures… Bon, je vais appeler Sophie.
— Eh bien voilà, c’est pas trop tôt ! »
« C’est bien l’un des diamants qu’on a trouvé, non ?
— C’est vrai, mais il sied bien plus à ton doigt qu’au mien, ma chère Sophie.
— Sale flatteur. Mais dis-moi mon cher Lock, que veut dire le M de Kwan M. Lock Investigations ?
— Tu promets de ne pas te moquer ?
— Promis juré !
— Eh bien voilà, ma mère a beaucoup aimé lire Proust, et mon père n’a jamais manqué un match de Cerdan. Alors, mes parents m’ont donné un prénom occidental : Marcel. Mais je préfère qu’on m’appelle Lock. »
Elle a beaucoup de mal à réprimer son hilarité. Mais elle a la joie si communicative que je n’arrive pas à lui en vouloir.
Fin
RAHA
