Agrippin, prénom masculin, c'est le sien ! Et si ce prénom nous paraît bizarre, maîtresse Jill, dans notre contexte actuel, il ne l'est pas pour mon jeune Agrippin, citoyen romain né environ cinquante ans après la mort de Jésus Christ. Bien sûr tout, ici, est inventé, sauf l'incendie de Rome par l'empereur Néron.
Ceux qui ont lu le roman Quo Vadis ? de Henryk Sienkievicz (ouh la la, quand je veux le citer, je dois toujours aller rechercher comment s'écrit son nom !), ou alors ceux qui ont vu et revu le péplum hollywoodien du même titre (repassé très récemment pour les fêtes, un film très bien fait et probablement très proche à la fois du roman (que j'ai lu il y a longtemps) et proche de la réalité historique, ceux qui ont lu ou vu Quo Vadis ? pourront s'imaginer l'atmosphère de l'époque.
Et nous pouvons l'apercevoir, mon Agrippin, dans le groupe d'enfants sculptés, tout à fait à droite, jouant aux noix avec ses copains, du temps où il était plutôt désigné comme "Pin pin" ! (Ben, oui). Mais quelles sont ces feuilles vertes derrière la frise d'enfants romains ? Des feuilles d'acanthe ! Celles qui ornent nombre de chapiteaux corinthiens et de frises dans l'architecture grecque, romaine ou romane ensuite. Des feuilles stylisées, recréées, sublimées par les sculpteurs, dont Pin Pin, enfin non : Agrippin, jeune adulte qui excellera dans cette spécialité.
Pour l'heure, c'est un gamin que tu accueilles, si tu le veux bien, Jill, à la Cour de récré. En tant que maîtresse, il est bon que tu sois mise au parfum du passé de Pin Pin. Il y a un lourd secret, dans son passé,dont la connaissance risquerait de le mettre en danger et tu pourras ainsi parer à toute mauvaise éventualité et le protéger.
Pour tout le monde, en Sicile, Agrippin est le fils d'une esclave affranchie et d'un patricien de Rome qui n'a pas voulu le reconnaître comme le sien. La mère et l'enfant ont trouvé refuge, grâce à de la famille, chez une nouvelle famille aisée sicilienne. Maman s'est parfaitement intégrée aux gens de maison et Pin Pin a reçu la même éducation que les enfants du maître des lieux. Seulement, ce père, patricien romain, c'était l'empereur Néron lui-même, le fou qui donna l'ordre d'incendier la ville de Rome pour s'offrir un spectacle lui apportant l'inspiration, à lui qui se croyait un artiste poète. Sa mère, danseuse au palais le soir, femme de service le jour, esclave tout le temps, dut subir parfois les caprices de l'empereur sans pouvoir protester, tomba enceinte sans que Néron, ni surtout sa femme ne le sachent. Eloignée des soirées fastueuses le temps nécessaire, sans jamais avouer qui était le père, elle dut reparaître ensuite dans le corps de ballet. Lors de la panique qui suivit l'incendie de Rome et après la mort de Néron peu après, elle en profita pour s'échapper, récupérant au passage son enfant. Comment devint-elle une femme libre ? Je l'ignore : peut-être cela se fit-il naturellement dans la profonde confusion de la chute de Néron, peut-être fut-elle officiellement affranchie. Elle nomma son fils Agrippin du nom de la mère de Néron (assassinée d'ailleurs par celui-ci) en pensant que ce noble nom ferait protection. L'horreur du règne de Néron flottait encore dans les mémoires, alors personne ne devait savoir, même pas l'enfant lui-même, qui ne l'apprit de la bouche de sa mère que bien plus tard et garda le secret.
Dans la Cour de récré, Pin Pin évoquera son père en général d'armée, en sénateur, en grand architecte selon son inspiration devant ses copains bouche bée ou rigolards, comme tous les gamins s'inventent des histoires pour se faire rêver eux-mêmes. Je crois, maîtresse Jill, qu'il faudra le laisser faire, se boucher une oreille mais ouvrir un oeil si la vérité de sa naissance menace de pointer son nez.
Lenaïg
Feuilles d'acanthe, Maison carrée de Nîmes.