Ils ne pouvaient pas compter sur la théorique faible attraction de la lune, pour progresser rapidement : ils étaient soumis à une gravité artificielle, et ils devaient fournir de réels efforts pour remonter les niveaux. Leurs mouvements étaient d’autant plus difficiles que le chef de mission avait décrété qu’il était prudent d’enfiler leur casque bien avant le sas, pour affronter le vide spatial. Un phénomène inquiétant leur donna un coup de fouet : l’éclairage persistait, après qu’ils eurent quitté un compartiment ; cela signifiait clairement que Phobos prenait progressivement vie, même si ce n’était qu’un simulacre. Quelque part, une machine était en train d’exécuter un programme initié par des conditions non pertinentes, elle pensait peut-être que ses anciens maîtres étaient de retour et voulaient rentrer chez eux, où que ce fût.
Encore plus flippant, leurs appareils électroniques commençaient à cafouiller. Gabble déduisit qu’un champ électromagnétique était en train d’englober progressivement tout le satellite. Il était vital d’atteindre leur vaisseau et de décoller, avant que l’intensité du champ l’interdise en déréglant les instruments.
Longor et Garine n’étaient pas des militaires, et leur entraînement physique ne valait pas le dixième de celui des deux colonels. Ce qui aggravait leur cas, était la charge qu’ils devaient supporter : une cinquantaine de kilos — sur Terre — d’équipement, comprenant divers appareils, et surtout le conteneur d’air. Cela n’aurait pas eu de conséquence, si l’on considérait la gravité quasi nulle d’une lune naturelle. Mais une quelconque machine de Phobos générait une gravité artificielle qui handicapait maintenant les astronautes.
« On n’arrivera jamais à temps au vaisseau, haleta Longor dans son micro.
— On devrait se débarrasser du superflu, proposa Garine.
— Ne rêvez pas, les doucha Gabble, ce sont les bouteilles d’air qui sont les plus lourds.
— Arrêtez de parler et marchez, conseilla Brown.
— Je n’y arriverai pas, se plaignit Longor.
— Youri, aide-moi à la traîner, ordonna Gabble. »
Le colonel Brown eut une grimace pessimiste, mais ne dit rien. Gabble et elle avaient le même grade, mais lui était l’aîné. La raison voulait qu’on abandonnât le membre qui ralentissait l’équipe, au risque de compromettre la mission. Mais les deux hommes étaient peut-être assez forts pour ne pas ralentir la cadence ; c’était sûrement la conviction de Gabble.
Heureusement, à un niveau de la sortie, la gravité avait grandement diminué. L’archéologue qui avait un peu récupéré, se mit à marcher sans l’aide des deux hommes. Le groupe arriva ainsi au sas, alors que les instruments de leur équipement cessaient de fonctionner, perturbés par l’électromagnétisme qui s’intensifiait.
« Allez, un dernier sprint, les encouragea Brown, le vaisseau est là.
— J’ai un point de côté, haleta Longor.
— Tant pis, souffre, cracha Gabble. Tu veux revoir tes enfants, oui ou non ? Avance !
— Courage Eva, intervint Garine, plus que quelques mètres. »
Au prix d’un effort quasi surhumain, et la peur leur donnant des ailes, les astronautes rejoignirent leur vaisseau, en espérant qu’il n’était pas trop tard. Les instruments étaient perturbés par le champ développé par Phobos, mais Garine réussit à lancer manuellement le propulseur nucléaire. Ce fut avec un profond soupir de soulagement qu’ils s’écartèrent de la lune qui s’éloignait en prenant de la vitesse.
« Avons-nous fait une dérive fatale ? interrogea Longor.
— Non, fit Garine, nous sommes juste en-deçà de la limite.
— Heureusement, intervint Brown, regardez Phobos, elle est en train d’accélérer. C’était juste.
— On ne se serait pas douté que cette lune était en fait un vaisseau spatial, fit pensivement Gabble. J’aurais bien voulu connaître son système de propulsion.
— Et c’est tombé sur nous, comme par hasard, se plaignit Longor.
— Je pense que nous avons accidentellement activé un programme, déduisit Brown. Je me demande où sont passés ses propriétaires.
— On ne saura jamais, conclut Garine, tous les indices sont en train de foutre le camp. Mais il se pourrait que nous soyons leurs descendants, qui sait. Les types qui verront arriver ce vaisseau seront bien étonnés de constater qu’il n’y a pas âme qui vive, dedans.
— Le plus frustrant, c’est qu’on n’a pu rien ramener, se désola Gabble.
— Moi je pense que c’est le destin qui veut ça, philosopha Longor. Nous ne sommes autorisés à utiliser que la technologie que nous avons développée nous-même, pas celle des autres. »
Les astronautes n’étaient pas rentrés entièrement bredouilles, ils avaient quand même démontré la viabilité et les avantages de la propulsion nucléaire.
Fin
RAHAЯ
Illustrations :
- La propulsion nucléaire n'est pas de la science fiction,
http://www.savoirs.essonne.fr/thematiques/lunivers/exploration-spatiale/la-propulsion-nucleaire-dans-lespace/ - Pour reprendre le clin d'oeil des noms que Rahar a donnés à ses héros, sur fond de Mars, on reconnaîtra Clark Gable, Eva Longoria et Yuri Gagarine, montage de Lenaïg.