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imagesCAQ8EHLP« Douze kilomètres et je sortirai de la ville ; je mettrai le vélo sur le bord d'un champ et dormirai. Je ne vous oublierai pas, Patrick et Marie... », pense Louis en accélérant la cadence.)

 

— Tu t'entends bien avec ton frère, ta soeur ? demande le psychologue.

 

Pouvait-il raconter cette ambiance pesante sans devoir l'expliquer ni trahir ce père, cette mère, qu'il aime et craint tout à la fois ?

Il va, rêvant sur le chemin de retour à travers la glace de leur voiture trop propre dont l'odeur chimique rappelle leur maison.

La ville lui fait peur. Paradoxalement, il voudrait fuir, et en même temps il exulte de tout son coeur à revenir vers son nid douillet.

Sa joie se précise en reconnaissant la grand-route d'où l'on voit, au loin, le château du Prince Noir, les virages verdoyants et le grand croisement avec, à droite l'église dont il ne connaît pas l'intérieur, et sur la gauche, la route conduisant à la maison. Juste avant surgit l'avenue de l'Europe bordée d'énormes peupliers ; enfin l'austère habitation qui réconforte. Amour-haine vibre dans son âme, mais

amour avant tout...

 

— Louis, Louis, réveille-toi !

 

« Est-ce un rêve ? Oh ! Qu'il fait froid sur cette herbe humide ! Dormons, dormons ! », marmonne l’adolescent avant de se rendormir.

 

— Louis, Louis, réveille-toi !

 

Qui parle ? Sa mère ? Non, elle est déjà partie. Son père ?  Pas plus. Il l'a bien entendu, comme tous les matins, se raser avec la radio qui hurlait dans la salle de bain, mais il s'est rendormi comme d'habitude. Alors, serait-ce son frère, sa soeur ; ou lui-même 

dans son sommeil ?

 

 « Oups : huit heures vingt ! Vite, l'école commence dans dix minutes, en courant deux kilomètres, je pourrai l'atteindre... Je vais

encore arriver en retard ; mais qui s'en soucie ? Les profs ? Qu'importe ! »

 

Sa grand-mère habite en face du bâtiment scolaire. C'est elle, qui ne sait pas écrire, et va voir le professeur principal lors des rendez-vous demandés. Les parents n'ont pas le temps. C'est elle aussi le refuge possible lorsque Louis est attendu à la sortie par la

bande qui le persécute. Depuis son retour de pension, deux ans de cauchemar, ils ne peuvent plus le " blairer " car il a changé et ils ne comprennent pas.

 

— Hé ! Pédé, lavette, gros naze !

 

Louis, sans répondre, passe droit devant.

 

— Hé, c..., on te parle !

 

Il marche d’un pas pressé, sachant qu'ils chercheront le moindre prétexte... Rien à faire : coups encaissés, coups rendus, douleurs sourdes mêlées d'humiliations, puis le silence... Que faire ? Raconter aux adultes, aux parents dont la vie existe à mille lieues de là ?

Bah ! ça passera...

 

Après avoir échappé à ses poursuivants, il suit la sempiternelle route menant au bercail sous un ciel laiteux presque habituel. Le jardin public répand une odeur de printemps qu'il ne perçoit plus au milieu d'un vert anonyme et morne. Toujours cette routine

pesante de marcher sur la route principale martelée par ses pas depuis des années : ligne droite avec ce petit magasin "Arts et gastronomie" dont il n'a jamais poussé la porte et que, seule, la grand-mère connaissait, plus loin l'étrange boulangerie où il s'était

égaré des années plus tôt et la rue suivante qui devient étroite avec ces petites mamies qui vous épient derrière leur rideau.


Enfin surgit l'église triste qu'il n'approche pas, telle une relique interdite.

En descendant, le croisement principal sort de l'ombre du bourg, indiquant les quatre points cardinaux menant vers l'extérieur ; c'est là que le village a offert les premiers feux de signalisation après qu'un élève a failli perdre la vie lors d'un accident.

Sorti de cette frontière, le calme lourd du bourg laisse la place aux cités périphériques de petites maisons individuelles et quelques immeubles modernes préfigurent timidement un semblant de ghetto hors de portée des regards bourgeois.

Encore quelques pas, égayés par les oiseaux des jardins environnants, et ça y est, la maison apparaît. Le quotidien lourd, ambigu d'une enfance frustrée...

 

« Oh, cette maison, ce village que je quitte. C'est mieux ainsi. Il faut que me lève, ramasse ce vélo, fuir le plus loin possible, aujourd'hui ! J'écrirai tout cela un jour, je témoignerai. Comme ce journal que je n'ai pas oublié d'emporter...»

 

 

Un journal ? Ah, oui ! En devenant adolescent, Louis se réfugie dans son imaginaire par la lecture ; bientôt ce seront ses textes, notamment son journal intime...

 

— Qu'est-ce que tu écris, mon chéri ?

 

— Des poèmes, maman.

 

Louis ne ment pas : des vers éparpillés inondent ses cahiers. Sur un autre, caché soigneusement, figurent ses impressions, ses souvenirs, ses espoirs. Louis décrit longuement sa vie comme s'il avait cent ans. De longues dissertations philosophiques

étoffent également cet essai un peu prétentieux. Mais n'est-il pas naturel d'être prétentieux à cet âge ?

 

Sa mère, qu'il aime tant, lui a confié innocemment qu'elle était fière de lui après avoir trouvé un jour ses écrits et les avoir lus à sa meilleure amie... « Ô confiance perdue même dans le pardon ! Maman, pourquoi ? »

 

" C'est au père que j'en veux le plus, souffle tristement l’adolescent en forçant sur les pédales" ...


A suivre

Auteur : Dominique
***

Image :
Pedalator.com !
Tag(s) : #Les nouvelles et poèmes de Dominique
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