Ma cible est centrée dans le collimateur. La vue est dégagée sur les quatre cents mètres qui séparent la chambre d’hôtel que j’ai louée et l’appartement de ma future victime… Enfin presque : une légère brume flotte sur la ville. Mais la lunette de mon fusil est un bijou de technologie. Je presse calmement la queue de la détente et le coup part dans un éternuement sourd. But ! Non, raté !... Incompréhensible, inimaginable. Non, je ne suis pas prétentieux, mais je suis conscient de mes capacités. Je regarde de nouveau dans la lunette. Je n’aurais pas dû rater ma cible, je vois l’impact de la balle sur le mur, dans la trajectoire qui aurait dû toucher ma victime ; celle-ci avait tout simplement disparu.
Une soirée de perdue. Je remballe mon matériel, déconcerté et un rien frustré. J’avais cru que ce contrat serait du nanan. Ce David Angel aurait dû être une cible facile. C’est un petit trafiquant d’armes assez original. Il payait ses fournisseurs uniquement en espèces et sous l’œil de plusieurs témoins dignes de foi. Pourtant, en recomptant la somme, le montant était inexplicablement très loin du compte. Les suivants avaient beau consacrer un temps fou à compter l’oseille au moment de la transaction – avec l’accord patient et narquois de David – pour déceler quelque tour de prestidigitation, plus tard, le compte n’y était toujours pas. Les fournisseurs grugés n’avaient absolument aucun recours. Un fournisseur avait embauché à prix d’or un illusionniste pour chercher comment faisait le bougre. En vain.
De l’autre côté, les clients du trafiquant étaient aussi arnaqués. Malgré un contrôle sévère à la livraison, plus tard une partie du matériel s’avérait être d’une qualité inférieure aux spécifications. Personne ne savait comment se faisait la transformation, et David Angel reçut le surnom de Mage. On aurait cru que la mauvaise réputation du Mage lui aurait fermé tous les marchés. Mais il y avait toujours des fournisseurs cupides qui se croyaient plus malins que les autres, et des clients stupides alléchés par des prix très attractifs. D’un point de vue purement éthique, j’aurais pu laisser le Mage pourrir le créneau du trafic d’armes avec ses procédés, mais d’un autre côté, en cassant les prix, il donnait l’occasion aux plus démunis d’acquérir des moyens de destruction, même de piètre qualité, mais qui n’en sont pas moins mortelles. J’en suis encore à ruminer mon échec et à en trouver quelque explication, quand je reçois un appel. C’est Romain.
— Salut Pépé, je m’attendais plutôt à Dany.
— Bonjour Klotz. Dolorès a emmené le petit acheter des œufs en chocolat sur la grande île.
— Mais pourquoi ne pas y être allés ensemble ?
— Ben j’avais encore des disques à sauvegarder. Et puis Dolorès a bien appris à manier le yacht. En outre, Dany a laissé un message pour toi.
— Quel message ?
— J’ignore totalement ce qu’il veut dire, mais il te recommande d’acquérir un pendentif avec un cristal de roche, le plus pur possible, de le consacrer en le faisant tourner sept fois au-dessus de la fumée d’encens. Il paraît que ça te permettra de contrer le talisman d’améthyste.
— Qu’est-ce que c’est que ces histoires ?
— Je n’en sais fichtrement rien, Klotz. Je ne fais que te transmettre ce qu’il dit.
— Très bien, merci Pépé. À part ça, comment se passent ses vacances ?
— Dany regrette qu’elles soient un peu courtes, mais rassure-toi, nous ramèneront ton gamin dimanche avant midi, promis.
Je me demande bien ce que Dany veut dire. Je le connais assez pour savoir qu’il ne débite pas de billevesées. Un instant ! J’affiche de nouveau la photo de David Angel. Je remarque maintenant qu’il porte une pierre violette au majeur. On dirait bien une pierre d’évêque. Cet énergumène serait-il un vrai… Mais non, c’est absurde en cette ère de technologie et de science. Pourtant, ses arnaques sont difficiles à expliquer rationnellement. Et surtout, mon échec incroyable devrait me faire réfléchir.
A suivre
Rahar
Illustrations :
9 oeufs de Pâques
améthyste brute
cristal de roche brut
Voir références dans album Fantaisies 4.