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Paris Metro Enseigne

 

Ligne de métro   « 1 »

 

 

Perchée sur la corniche d’une maison aux allures victoriennes, je scrutais l’horizon. Pas une âme qui vive en vue. Il faisait noir. J’étais seule, mais sans peur. Je me suis redressée pour prendre mon envol. Une brise fraîche caressa ma peau. De si haut des airs, soudain, je tombai en chute libre.

 

Au son de la troisième sonnerie du téléphone, j’ouvre un œil perdu sans la moindre idée du lieu où je suis. Dans un lit. Le mien assurément. Je me suis retournée pour m’étendre sur le dos. J’aperçois un luminaire suspendu au plafond. J’ai compris que j’étais dans ma nouvelle chambre. Des images se bousculent dans mon esprit. Une femme me tendait un somnifère. Ma mère. La veille, elle m’avait rendu visite et j’avais avalé le comprimé avant son départ. Ma tête pivota de 180 degrés vers la table de chevet. Mon réveille-matin indiquait presque midi.  Un  calcul rapide et je réalise : j’ai dormi plus de douze heures. Encore engourdie par le sommeil, je décroche le combiné du téléphone.

 

- Allô !

 

-          Vous êtes en retard ! Je vous attendais à onze heures.

 

La voix rude de Richard, un éditeur. Un soupir. Embarrassée, j’ai marmonné une excuse pour avoir manqué notre premier rendez-vous.

 

-          J’arrive… Accordez-moi une demi-heure.

 

Au bout du fil, j’entends son mécontentement grognon.

 

-Présentez-vous à une heure trente. Je vais dîner. À vous de m’attendre.

 

-          Merci, Richard…

 

-          C’est bon pour cette fois !

 

Il avait raccroché. J’hésitais à sortir du lit en me demandant si j’avais rêvé cet appel. J’ai glissé mon œil sur ma tache de naissance. Un dessin sur ma main gauche, juste au-dessus de l’annulaire. Je pose ce même regard tous les matins à mon réveil. Une habitude dont j’ignorais le sens. Elle était toujours là et cela me rassura. La tache prouvait mon identité. Avais-je une raison d’en douter ? Il y a des choses qu’on tente de s’expliquer sans y parvenir. Ma tache. Elle est à peine visible. Cette petite marque m’obsède. Les saisons transforment son apparence. L’été la colore avec grande distinction. L’hiver la blanchit tel un fantôme. Bien qu’il m’apparaisse insensé d’accorder autant d’importance à m’expliquer les causes et les significations de cette vulgaire tache d’encre de naissance, je suis soumise à ce rituel. Obsédée. Une idée plantée par ma mère dans ma tête comme un clou qui la  fixe là sur ma peau.

 

J’avais moins de quatre ans quand elle a fait ça.

 

-Minette, il y a un lapin sur ta main.

 

Elle caressait du bout de son index le dessus de ma main gauche.

 

-Où ça le lapin maman ?

 

C’est à ce moment qu’elle a pointé mon attention sur la tache. J’ai pleuré.

 

-          Pourquoi pleures-tu ? C’est joli un lapin brun.

 

Je ne voyais pas de lapin. Seulement une tache qui venait gâcher ma vie. J’étais marquée. J’ai inspecté ma mère de la tête aux pieds. Il n’y avait pas de tache sur sa peau à elle.

 

Après quelques mois, je m’en suis remise. Plus le temps se démesurait, plus je discernais le lapin. Avec beaucoup de concentration, j’en suis même venue à établir une similitude entre la forme sur ma main et celle qu’on distingue sur la face de la lune. Surtout, les nuits où elle est pleine. Ce n’était plus une tache de naissance. C’était une marque. La preuve de mon identité. Il était rassurant de savoir que peu importe ce qui pouvait m’arriver ou l’état dans lequel se retrouverait mon corps, en autant que cette main gauche demeure intacte, à vue d’œil, on saurait que c’était bien moi et pas une autre. À cinq ans, voir mon lapin sur ma main me rassurait. Si un jour, apparaissait ma jumelle tentée de me voler ma mère, elle ne parviendrait jamais à ses fins. J’étais unique. Maman n’aurait qu’à chercher mon lapin et tous ses doutes se dissiperaient. Loin d’être une vulgaire tache qu’on souhaite faire disparaître, la marque était devenue un signe qui faisait de moi un être exceptionnel. On m’avait enseigné une tâche particulière avec cette tache. Plus je tentais m’expliquer sa présence, moins je comprenais. Ma conclusion : j’étais différente. Pas comme l’était mon jeune frère qui cachait des chenilles dans ses tiroirs et qui parlait aux oiseaux à cinq heures du matin. Le mystère de ma marque  grandissait avec moi. 

 

Auteur : KINAGE

*** 

 

 

Photo Lenaïg : Lapin gris au jardin.

Lapin Toto au jardin - Photo Lenaïg

 

Tag(s) : #Le Voyage de Kinage
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