Les enquêtes de l'agence Thémis
Aventures franco-québécoises coécrites par
Di, Marie Louve, Aganticus et Lenaïg
Episode 19
L'arrivée de Jean Bon
Le Pacha tripote son stylo Hermès d'un air ennuyé, puis il me regarde avec cet air franc qu'ont les ânes quand ils reculent
- Voyez-vous, Alex, je ne pouvais pas refuser au ministre ce petit
service…
- Petit? Vous en avez de bien bonnes, monsieur ! Si le gugusse est inopérant, c'est
peut-être ma vie qui sera en danger, qu'est-ce qu'il a fait avant de venir pleurer sur les godasses de votre
ministre ?
- Heu… Il pratiquait la noble profession de boucher charcutier
La surprise m'étrangle et, voyant ma tronche blême virer violet, le Pacha se dépêche d'ajouter
- Il a aussi fait du judo… Ceinture jaune, heu… il allait passer la verte mais il a glissé
sur le bord du tatami et s'est démis l'épaule
- Je vois : le tatami l'a démis !
Je suis fou de rage,
imaginez : le Pacha veut me coller un adjoint dans les pattes sous prétexte qu'icelui est un neveu de notre ministre
de tutelle, c'est-à-dire le ministre qui nous signe les autorisations d'oeuvrer en secret… c'est-encore-à-dire le
ministre qui nous couvre en cas de cas…
- Votre ministre est un sinistre …
- Chut, Alex, les murs ont des oreilles, me chuchote la bouche servile de mon Pacha, pas
chat,
- Et les oreilles ça se tire ! me mets-je à gueuler pour être bien sûr que les murs
entendront.
J'essaye de me calmer en expirant/inspirant et vice versa; Au bout de deux minutes,
réfléchissant à la vitesse du son que l'âne veut manger, je me dis que je pourrais toujours laisser le gonze sur la
touche pour les missions délicates et le cantonner dans de l'administratif. De toutes façons, à voir la tronche
entendue du Pacha, je sais que je ne pourrai pas refuser, alors… advienne que moudra.
- Et quand me présentez-vous ce précieux allié ? Ironise-je
- Tout de suite, me dit-il, en appuyant sur un bouton de son présentoir téléphonique.
Et alors là, mesdames et mes vieux, l'apparition la plus abracadabrantesque que j'ai jamais vue, se
matérialise dans le bureau : vous voyez Tartarin de Tarascon comme le dessinait Albert Dubout ?
Hé bien c'est pire ! Un demi éléphant en volume et certainement en poids, l'épaisseur du ventre
deux fois plus importante que celle des épaules, une moustache hitlérienne taillée un tiers /deux tiers, un nez
genre truffade de chez Rebuchon lorsqu'il était en dépression nerveuse, des petits yeux porcins cherchant à faire aux truies ce qu'il veut qu'on lui fasse à lui, un pantalon remonté jusque sous les bras et pour couronner le tout, si j'ose dire, un chapeau mou de pêche avec les hameçons qui vont avec…
Le machin s'avance
vers moi, croise ses bras, avec toutefois la main droite simulant un révolver avec ses deux doigts tendus, un petit
sourire genre "j'suis bien content de moi" :
- Mon nom est Bon… Jean Bon, articule l'incongru
avec un accent du sud ouest à couper au Laguiole.
Ne pouvant plus se retenir, le Pacha se met à hennir comme une baleine qui vient de voir un
politique tenir une promesse.
- C'est vraiment son vrai nom ! Pleure-t-il de rire en se tamponnant les yeux avec un
Sopalin, ouais, son vrai nom, et en plus, il veut pas en changer !
Je regarde le calendrier, nous sommes le douze janvier et mes espoirs que nous fussions le
premier avril s'envolent avec le peu de raison qui m'habite. Je m'assois car le sang vient de déserter de mes
pauvres jambes et je m'entends prononcer :
- Moi aussi je suis véry content de rencontrer you..
- Haaaa, mon collègue ! on m'a tant parlé de vous que je suis été impatient de vous
rencontrer, dit-il, en me tendant une main pleine de résidus de jambon sous les ongles et dans la ligne de vie.
Un peu distrait, je ne fais pas gaffe et je lui abandonne ma menotte à serrer : Ho, putain ! Il me la
broie aussi fort qu'un étau coinceur, ce con !
- Ho
pardon, je suis maladroit, minaude-t-il de sa voix à la Roger Couderc, si j'aurais su j'aurais pas
serré…
- C'est rien de le dire, grimace-je, bienvenue au club, tout de même.
- Vous savez, agent Letourneur, vous aurez pas à vous plaindre de ma constance, je serai
votre linge gardien, votre Hercule Poivrot, je donnerai mon envie pour vous et même si je me
serai tombé, je me relèvera toujours pour vous servir…
- My god, i am in the caca., ne puis-je m'empêcher de penser en anglais car, ne l'oublions pas
: au collège, c'était ma première langue étrangère.
Complètement pété de rire, le Pacha se racle la gorge pour essayer d'en placer une sans
glousser bêtement.
- Bon, les présentations étant faites, je vous offre un repas à la "Tour d'argent" pour sceller cette nouvelle collaboration, mais, ne m'en veuillez pas, je ne pourrai être des vôtres. Alors bonne soirée et rendez vous demain matin pour le briefing de la nouvelle mission…
Comment vous raconter la tentative de repas à la "Tour d'argent" sans risquer le procès pour
outrage à la bienséance française ?
D'abord, comme il pleuvait, notre bon Bon s'est mis à dégouliner grave devant la préposée au
vestiaire de ce restaurant si chic qui, voyant la classe naturelle de notre ami, lui a proposé une veste sèche.
Mais
on n'en a pas trouvée d'assez grande pour l'enfiler sur son manteau qu'il ne voulait pas quitter.
Paniquée, la préposée m'envoie des SOS du regard et devant ma mine impuissante, décide de prendre les choses en main; façon de parler, bien sûr! Elle appelle le gorille de service qui, se sentant investi d'une mission divine, attrape le colbac de Jeannot et essaie de le peler, oui mais… A moitié chemin du pelage, commencent à sortir des poches du manteau, je cite dans l'ordre : une brosse à vêtement, une brosse à cheveux, une brosse à dents et une brosse à chaussures ; puis, attaquant les poches du bas : un moulin à café, un moulin à poivre et un moulinet de pêche. Ensuite, le fouillis habituel que tout pékin lambda traine sur lui : un portefeuille, un sac à dos, un lance pierre, un lance flamme et un (petit) lance roquette; enfin, pour que les doublures ne volent pas leur nom, sont sortis également : un dictionnaire traducteur français/français, une carte de Limoges intra muros, un as de pique, un préservatif troué et une photo de Madona dédicacée d'un "Courage aux sans-culottes".
Si je vous dis que nous n'avons pas été acceptés en ces lieux si class, vous me croyez ?
J'ai donc pris la situation en main, en ramenant l'erreur de maternité à notre véhicule.
- Bouge pas de la voiture, empaqueté, je vais nous chercher deux bons gros sandwichs dans
un snack. Je suis obligé de le tutoyer car le vouvoiement serait une insulte à la
déontologie.
- Si y'a, me susurre-t-il plein d'espoir, j'aimerais un
jambon/beurre/harengs/cornichons/omelette aux herbes et fromage… heu, n'importe lequel, ajoute-t-il
magnanime…
J'ai commencé à l'étrangler longuement, puis me rappelant qu'il était neveu de ministre, j'ai
été chercher deux sandwichs.
Le lendemain, dans le bureau du Pacha, j'ai coincé celui-ci et j'ai exigé une augmentation de
salaire de cent pour cent.
Non mais, sans blague !
Illustrations :
- Un bel âne recruté à la foire de Valloire par photopensee.fr (clic !), qui a bien voulu, moyennant deux gros sacs d'avoine, tenir le rôle du Pacha dans son air franc qu'il a quand il recule.
- Les écoutes téléphoniques avec la participation exceptionnelle d'Omar et Fred et le lien vers un article intéressant, me semble-t-il, de Rue 89 : clic !
- La représentation de Tartarin par Dubout, trouvée sur : http://poemes-provence.fr/tartarin-de-tarascon/
- Pour le rire de baleine du Pacha, on peut faire confiance à cet autre brave figurant : l'âne de lancien.cowblog.fr, qualité de rire de baleine garanti.
- En pensant à l'énorme pogne de Jean Bon, j'ai trouvé cette savoureuse image. Carla n'a pas pu dire cela, soyons ... honnêtes, mais on est bien dans la viande et la charcuterie, un p'tit tour à Rungis ne fait pas de mal et on peut se venger, comme le dessinateur, de ces politiques au pouvoir qui n'ont aucune idée de la réalité quotidienne des petites genss (ou alors l'ont oublié), ce qui est bien embêtant quand on veut faire dans plus d'égalités.
- La Tour d'argent (sans commentaire) : lesgourmands2-0.com
- Un homme qui a un tel outillage dans ses poches mérite le respect, m'enfin, Alex, laissez-lui une p'tite chance (de toute façon, vous n'avez pas le choix), mais l'illustre illustratrice s'est concentrée sur une jolie photo dédicacée de Madonna, du temps de sa splendeur encore un peu naturelle (avis personnel).
Lenaïg