Les enquêtes de l'agence Thémis
Aventures franco-québécoises coécrites par
Di, Marie Louve, Aganticus et ... Lenaïg
Episode 17
Le maïs de la colère
Le soleil n'a pas fait de cadeau, aujourd'hui à San Miguel, et je profite de la fraicheur relative de la nuit pour me déguster une Téquila bien coupée au jus de citron, en compagnie de Gladys et de Pédro Tancral le correspondant de la zone Mexique pour la TEF.
Pédro est venu nous accueillir à l'aéroport de Pachuca ou le Falcon X7 de l'agence va nous attendre le temps de la mission. J'ai laissé les instructions et mon plan de route à Mac Grégor, le pilote, qui doit se tenir prêt pour un décollage en moins de douze minutes ; Ce sont les instructions lorsque nous sommes juste tolérés dans un pays… Et c'est le cas : le gouvernement Mexicain n'a pas de relations qui baignent dans la béatitude avec la France et la TEF est si secrète qu'elle en est anonyme…
Pour cette mission délicate, je suis accompagné par Gladys Stormblit, une femme extraordinaire qui pratique couramment douze langues et autant de dialectes sud-américains. Petite et boulotte, ses yeux verts pétillent d'intelligence derrière ses lunettes en monture d'écaille mais consciente de son physique moyen, elle m'a justement fait remarquer qu'elle a un gros avantage sur les super nanas : elle n'attire pas l'attention, elle…
De plus, sa position de "free-lance" lui permet de choisir ses missions et de délaisser celles qui ne la motive pas. Le Pacha me l'a vivement recommandée pour ses connaissances de la langue et du milieu agricole mexicain.
- Le gros problème des péones vient des américains, nous explique Pédro en sirotant sa Téquila, d'abord au niveau du prix de vente du maïs mexicain qui est plus cher que le leur de trente pour cent…
- Pourtant le prix de revient des produits mexicains est bien plus bas qu'aux states ? interroge-je
- Bien sûr, coupe Gladys, et c'est parce que nos chers amis de la Monbando se sont débrouillés pour faire voter une loi par le congrès américain pour subventionner leur maïs,
- La Monbando ? la firme chimique ?
- Elle-même, reprend Pédro, celle qui veut envahir tout le pays avec son maïs transgénique et comme ce maïs est hybride, il faut racheter tous les ans des graines pour replanter. C'est un marché estimé à plusieurs milliards de dollars.
- L'hybride n'autorise pas la germination, je suppose ?
- C'est exactement ça et c'est le pourquoi de la guerre des OGM, continue Pédro, sous le couvert de la recherche, les américains voudraient implanter des OGM partout
- Mais, j'interromps Pédro car la question me semble cruciale, certains OGM ont bien amenés des progrès dans la culture, non ?
- Certains laboratoires scientifiques confinés ont eu des avancées intéressantes et la Monbando s'est engouffrée dans cette brèche avec ses propres visées. Vous savez bien qu'on n'attire pas les mouches avec du vinaigre et il faut bien que leur vitrine ressemble à quelque chose mais, par exemple, leur premier maïs transgénique qui devait tuer les chrysomèles définitivement a vu ce papillon s'immuniser et résister a telle enseigne que des agriculteurs ont dû abandonner leur culture. (voir http://www.ecologie-pratique.org/article.php/danger-insectes-resitent-aux-pesticides )
- Que peuvent les péones contre la puissante Monbando ? La question me semble évidente : que peut faire le pot de terre contre le pot de fer ?
- Voyez-vous, séñor, Pédro parle lentement comme pour donner plus de puissance à ses mots, prenez un sarment de vigne, vous le briserez en deux : c'est facile mais si vous en prenez vingt, vous n'arriverez pas à les rompre… L'union fait la force et les péones se sont montés en cooprérativa pour être plus forts; Mais bizarrement, la coopérativa de San Miguel n'arrive pas à fédérer les agriculteurs : j'ignore pourquoi, mais à chaque fois qu'ils doivent prendre une décision qui va dans leur sens, ils n'arrivent pas à obtenir la majorité… Certains péones changent d'avis et on ne sait pas pourquoi
- Vous avez essayé de les interroger après les votes ? Leur demander pourquoi ? demande Gladys aussi étonnée que moi par cette attitude.
- Oui, j'ai bien essayé mais je suis tombé sur des silences inexplicables et d'ailleurs, demain nous pourrons assister à une réunion à la coopérativa et vous vous rendrez compte par vous-même.
C'est ainsi que nous nous retrouvons au milieu de gens souriants, heureux d'être là et de se retrouver.
Tous sont vêtus de chemises et pantalons en coton blanc, et leur teint recuit par le soleil ressort comme une oasis au milieu d'un désert.
L'ordre du jour est crucial : depuis un mois, la Monbando s'est mise en relation avec Juan Perez, l'alcade de San Miguel, dans le but d'acheter beaucoup de terres en bordures des champs de maïs et personne ne sait ce qu'ils veulent en faire.
Assis à côté de Pablo, j'ai été présenté à l'assemblée comme un agronome français admiratif de leur façon de cultiver le maïs et Gladys ma traductrice me chuchote à l'oreille ce qui se dit :
- La Monbando veut acheter des terres qui entourent les champs de maïs mais pour ça, il faut que la majorité des péones de la coopérativa soit d'accord,
- Dites à Paco d'organiser une nouvelle réunion dans une semaine, le temps d'y voir plus clair et de s'organiser pour contre attaquer…
En finesse, Gladys glisse deux mots à Pédro qui, lui-même, parle à voix basse avec Paco le responsable de la coopérativa.
Après moult interventions, Paco clos les débats et donne rendez vous à tous, pour le vendredi d'après.
Sitôt sortis, Gladys me demande la raison de ce report, mais je ne peux pas lui expliquer que j'ai un don que je tiens d'un vieil ermite indien; don qui me permet de recevoir les pensées négatives de gens autour de moi. Tous les péones étaient positifs dans leur tête; tous sauf un, assis au premier rang, qui plusieurs fois a pensé ces mots: " Maricon estrangéro, no empêcheras don 'Monbando ganar"
Ce n'est qu'au repas du soir, avec Pédro et Gladys, que celle-ci me traduit ce que j'ai lu dans la tête de celui que j'appelle la taupe : "PD d'étranger, tu n'empêcheras pas la Monbando de gagner"
- Qu'avez-vous compris de tout ceci ? je demande à Pédro
- Le Monbando veut planter du maïs transgénique à côté des champs sains et ils comptent bien que petit à petit la pollinisation transforme le maïs sain en maïs transgénique,
- Machiavélique !
- Mais il leur faut un allié sur place pour convaincre d'une manière ou d'une autre les péones hésitants afin que la majorité ne soit pas atteinte lors des votes et je suppose qu'il doit échanger de l'argent de la fi rme contre leur silence… Ils sont tellement pauvres !
- Je pense savoir de quel péone il s'agit, j'annonce ça tranquillement comme une évidence
- Mais comment vous l'avez découvert ? Pédro est vraiment interrogatif.
- Ho, le plus simplement du monde, je suis obligé de mentir pour la bonne cause, c'était le seul à me regarder pendant que les autres discutaient… Et lorsque je le fixais, il baissait les yeux comme s'il avait vu que je le devinais. C'est lui qui a murmuré la phrase que m'a traduite Gladys. De plus, Juan Pérez, l'alcade, m'avait indiqué que ce péone était venu consulter le cadastre pour relever des numéros de parcelles. J'en déduis que ces parcelles sont celles qui bordent les champs de maïs et qu'il a envoyé ces numéros à la Monbando afin que celle-ci puisse les acheter
- Voulez-vous qu'on l'élimine ? me demande Pédro
- Non, surtout pas car cela mettrait la puce à l'oreille de nos ennemis; il y a beaucoup mieux à faire… écoutez moi.
Et c'est ainsi que dix jours plus tard, en survolant les champs de maïs sauvés de la magouille, nous buvons le champagne dans le Falcon X7 qui nous ramène au bureau de la TEF.
Comment nous avons fait ? Hé, hé ! Je dois reconnaître que je suis assez satisfait de mes compagnons de mission, Galdys et Pédro.
Ce fut très simple : nous sommes partis du principe que les gens trop sûrs d'eux ne vérifient pas ce qu'ils achètent… Pédro est allé voir l'alcade et lui a demandé s'il voulait sauver sa région des griffes de la firme chimique; Devant sa réponse affirmative, il lui a donné la seule solution à envisager : réunir son conseil municipal rapidement et changer officiellement les numéros de parcelles pour les remplacer par des numéros de terres éloignées des champs sains ; La Monbando possédant les numéros relevés par leur taupe, le tour sera facile à jouer. Quand la firme chimique s'apercevra qu'elle s'est faite rouler, même leurs puissant avocats n'y pourront rien car la loi est respectée.
Ainsi la Monbando allait verser beaucoup d'argent à la coopérativa sans pouvoir gêner l'agriculture saine de ce maïs considéré comme le meilleur du monde.
- Tchin tchin me dit Gladys en riant de ses yeux pétillants de malice… C'est Centéolt qui doit être content
- Et qui est ce Centéolt ? Demande l'ignorant que je suis
- C'est le dieu du maïs chez les Aztèques, séñor Letourneur lâche-t-elle en riant.
Aganticus
Illustrations :
Un champ de maïs suspect, le visage de Gladys, images du net signées, l'ombre d'une chrisomèle aperçue sur cnrs.fr (Pedro reste bien poli en désignant ce coléoptère ravageur par le doux nom de papillon).
Avec le champagne, guacamole et nachos (chips de maïs), servi par barlatino.fr !
Le dieu du maïs Centéotl : clic !
Lenaïg