La Complainte du Sieur Du Pont de la Cloche de Bois
*********
La Maré –(chaussée, elle), bigle de ses sales gobilles sur mes arpions chaussés de trous quand je parkinge ma cadygonette qui transbahute mes biens mobiyers.
V’là l’éventaire :
- 1 couvrante mitée,
- 1 pucier gonflab’ garni eud rustines, et coloré en camaïeu du marron au noir pisseux,
- 1 doudoune des Puces de la Feyssine
- Des charentaises en cayoutchouc percé, façon Benne à Ordures,
- 1 grand plastoche piqué sur un chantier : c’est mon macfarlane
- Tout ça calant, bien sûr, quelques kils de picrate dernier cri (premier prix) pour ma p’tite biture du soir.
-Je parkinge donc mon barda devant ma crèche du jour, mon ras-de-chaussée sous le pont pasqu’aujourd’hui i fait cagnard.
Sinon, j’ai plusieurs résidences secondaires, adaptées au temps qui fait, ou à ma lubie du jour, ou à l’urgence de m’planquer : - bouche d’égoût ou grille de métro si ça caille
- vieille bagnole si pleut trop,
- un carton si fait du vent, d’où que je rêve d’une lucarne pour voir une étoile (de tente).
Et là, j’ai tout le confort :
- une table (mes deux genoux)
- un fauteuil (en bitume)
- l’eau courante quand i lansquine
- l’ E.D.F. – mais c’est pas des watts, c’est des bougies !
C’est mon Auberge Espagnole, quoi ! Mais j’ai pas de greluche, pasque jamais deux sans toit, qu’on dit. HI ! Hi ! Hi ! faut bien rigoler, hein ? J’rencarde pas trop les frangins : i schlinguent des nougats et chouravent mon flouze dans mes fouilles, ou mon pinard ou mes ribouis dans ma cadygonette. Si j’leur fous une ratatouille, je prends une torgnole ou un bourre-pif : sont balaizes pour sonner les cloches !
Aujourd’hui dans son trois-pièces (falzar, marcel et galure), Mézigue va à la chasse à l’oseille, là oùs qu’i a du beau linge : faut dégauchir des écronoques pour dégotter de quoi becter. Pas bezef : je m’vois pas obèse, j’me carrerais pus dans ma carrée ! Mais des fois je crève la dalle. Mes éponges, elles en peuvent pus, de carcasser et de glavioter du raisiné. J’ai le palpitant qui gambille. Mes ratiches s’sont fait la malle, j’en ai pus que deux mais alles sont pas en face : pas chouette pour caler ma clope…
Des fois, j’sors du cirage dans un caniveau, à coups de balais des nettoyements (Qui c’est qui m’ a amené là ? les salauds !) I paraît qu’j’étais pochtronné… ben quoi : ça arrive à tout le monde, non ? Et j’ai des croûtes plein la calebasse (même dans ce qui me reste de tifs), plein les guiboles et l’pétrusquin (sauf vot’ respect, comme on dit dans le grand monde, là oùs qu’on n’a pas la émesté).
L’toubib vient jamais : i sait même pas où je crèche vu que je le sais pas non plus. I sait même pas si je suis né, en plus. J’me planque quand j vois les Services Sociaux . On sait jamais si on sortira de leurs pattes. Et pis i vous font laver… J’ai un peu les chocottes quand je gamberge, mais bof… Un jour j’rendrai mon costard tant que j’s’rai même pas vioque, roulé en boule… dans mon carton. Alors, en redingote eud sapin ou en plastoche, c’fois-là dans un premier sous-sol, j’aurai pus besoin que d’dalle. Et encore, j’en aurai même pas. DE DALLE ! Même pas un pissenlit à la Toussaint… Même pas une flamme à ranimer sur la tombe du Soûlot Inconnu, le Maréchal des Sans-Logis du Pont de la Cloche de Bois.
Margoton
Illustration provenant de : www.robertgiraud.blog.lemonde.fr