L’histoire se répète
Mon plus beau voyage
Avril 2009
Avril frileux au Québec s’éternise après un hiver froid à fendre l’âme, hiver si long à mourir d’envie de soleil sur sa peau et sur son museau. Ici, même l’ours hiberne pour dormir sur cette exécrable condition de vie.
Ce cinq avril crache à ma fenêtre sa neige à gros flocons qui viennent me narguer en abusant de mon impatience. C’en est assez ! Je décampe.
Vite sur Google, à la pie du monde, je demande un forfait voyage pour deux, dans les Caraïbes, quinze jours. La pie bavarde me chante les mérites du Brisas Trinidad Del Mar à Cuba. Cette offre est acceptée illico.
Je grimpe à l’étage, sors les valises, les passeports, et y engouffre tout le nécessaire en deux temps, trois mouvements.
Au retour de mon Grand-Loup, deux valises attendent prêtes à être empoignées pour fuir avec elles ce temps polaire qui n’a pas l’air du tout d’en finir.
Grand-Loup ne part jamais sans sa bicyclette. Ma rivale en quelque sorte.
Débarquement Cienfuegos à Cuba. Fous comme des balais sortis d’une armoire à glace, on s’enivre de chaudes sensations de soleil qui nous tombent de partout dessus. Un choc, pas culturel, dehors il fait 36 degrés Celsius, il y a quatre heures, chez nous, dix degrés sous zéro.
Arrivés à l’hôtel, c’est la course à la mer. Tant d’émerveillement face à cette eau d’émeraude scintillante qui danse dans la lumière du soleil. On y plonge, on roule avec comme des larrons en foire. Rafraîchi, Grand-Loup ne peut résister à l’appel du désir d’enfourcher ma rivale comme j’ai dévoilé plus haut. Un vrai cycliste qui n’a pas touché à sa monture depuis des mois d’un hiver en neige et en glace, succombe à la première occasion comme un héroïnomane. Ma rivale est partie avec lui plus heureux qu’un poisson dans l’eau.
Grand-Loup s’est vautré dans son plaisir retrouvé jusqu’à l’heure du souper. Une douche vite fait, il me rejoint au bord de la piscine. Un Pina Colada à la main, je déguste ce paradis puis je lève la tête pour faire la bise à Grand-Loup qui semble vidé de son sang par sa pâleur. Inquiète, il me rassure. Il a poussé fort pour se refaire les jambes.
Quand minuit sonne, je dors bercée par le rythme des vagues resté marqué dans mon corps. Des plaintes me réveillent. Mon amour agonise presque. Panique. Je sors de notre chambre en robe de nuit. Je ne parle pas espagnol. Un employé m’aperçoit, à mon expression de détresse, il a vite compris mon S.O.S. En moins d’une minute, une infirmière arrive au chevet du grand malade étendu, inconscient sur le sol de la salle de bains. Elle prend les signes vitaux, je vois bien à sa mine qu’elle aussi s’inquiète. Rapidement, elle demande une ambulance et le médecin. Tant bien que mal, je finis par comprendre qu’il faut quinze minutes avant l’arrivée de ces derniers. Autour de lui, elle rôde comme un ange en alerte. Elle tente plusieurs manœuvres pour le ranimer. En vain. Elle me regarde, me fait signe de négation avec la tête, sors en courant de la chambre, reviens aussi vite que possible, une énorme seringue entre ses doigts et, sans perdre un instant, la plante dans la veine du bras de mon Grand-Loup. Peu à peu les convulsions cessent et il reprend conscience. Je respire enfin et vois l’immense soulagement de l’infirmière réjouie par le résultat. Ce soir-là, elle a sauvé la vie de mon Grand-Loup. Un ange sur notre route au bon moment. Sa longue expérience et sa volonté d’agir avant l’arrivée du médecin, a fait la différence. Elle a pris un risque, le bon. Sans son intervention et sa juste décision, le cœur aurait lâché comme le médecin nous l’a appris plus tard. Victime de déshydratation.
Depuis, j’ai une nouvelle sœur dans ma vie. C’est Gladys, l’infirmière-ange sur mon chemin. Je retourne trois ou quatre fois par année à Cuba pour visiter ma sœur de cœur et sa famille. Je lui dois tout le bonheur d’avoir auprès de moi mon Grand-Loup qui roule encore comme un fou avec ma rivale. À mon tour, je rôde et je veille au meilleur sort pour ma nouvelle famille cubaine.
Encore quelques jours, et nous serons elle et moi, à marcher dans les rues de Trinidad pour fêter nos retrouvailles. Pour le Grand-Loup, il roulera dans les alentours et nous rejoindra à l’heure des victuailles. Comment un voyage peut-il être plus beau que celui qui m’a donné la vie sauvée de mon Loup, une sœur-ange et le plaisir d’y retourner.
***
Aujourd’hui, 28 mars 2011, il neige encore dehors, le thermomètre oscille entre moins dix et moins cinq, sans compter le facteur éolien qui refroidit tout avec ses vents du nord. Les ourses québécoises nous ont dit que c’était le printemps. Elles sont comme les marmottes. Elles parlent à travers leur chapeau.
Je suis clouée au lit depuis une semaine par une méchante labyrinthite, mais au diable la Sibérie québécoise, je prends mes pilules et je m’enfuis à Trinidad. Je resterai couchée sur une chaise de plage, au chaud devant la mer, un bon livre entre les mains. Départ le 7 avril prochain. De l’hiver, j’en ai plein le pompon !
Pour plus de sécurité, je laisse le Grand Loup à la maison en espérant que son vélo restera sur la glace pendant mon absence. N’y voyez pas de méchanceté de ma part, mais plutôt une mesure de prudence envers lui si je veux le retrouver à mon retour, en un seul morceau.
Marie-Louve