La question était : l'égoïsme est-il inhérent à l'individu ?
Je vais jeter ici mes notes griffonnées lors du débat. Celui-ci s'est déroulé calmement, sans que les gens s'enflamment pour faire valoir leur position, que plusieurs intervenants se coupent la parole ou quoi que ce soit. D'ailleurs Gunter veille toujours à ce que cela n'arrive pas, ou à calmer le jeu lorsque les esprits s'échauffent !
Comme Edith a répondu par écrit à mon petit essai avant même le débat, je suis fière d'indiquer que mes propos ont capté son attention et je reporte ici la phrase importante qu'elle a soumise à ma réflexion : " j'essaie de penser à votre dernière question : peut-on dire que malgé l'égoisme (acquis) dans notre type de société, il est possible d'introduire des modes de comportement qui contribuent à l'atténuer et qui indiquent peut-être à l'horizon comment tendre vers un autre monde possible ?"
Edith a commencé son texte ouvrant le débat en rappelant que la première réponse donnée, en général, est que l'égoïsme est inné, alors qu'on sait que l'homme est pourtant un "être de société".
Au XVIIIe siècle, il existait le verbe "égoïser", tombé depuis en désuétude, qui voulait dire : trop parler de soi.
Montaigne était classé comme égoïste dans cette optique.
Pour l'égotisme, on peut aller lire Les Lettres persanes de Montesquieu.
Une définition de l'égoïsme peut être retenue dans notre monde contemporain : c'est un attachement excessif à soi, qui fait qu'on subordonne les intérêts des autres à soi.
Pour Jean-Jacques Rousseau, l'égoïsme est acquis, dans une communauté sociale régie par l'inégalité.
Juste en passant car je ne suis pas très au courant, il a été signalé que Pierre Levy fait l'éloge de l'homo economicus. Tout le monde fait du commerce et cela fait avancer le monde. Chaque individu développe ses propres forces, si pauvres soient-elles.
Gunther a rappelé que Karl Marx n'était pas contre l'argent.
"Pour Marx, la monnaie n'est pas un moyen d'échange comme elle devrait
l'être, mais un but en soi. Le capitalisme produit naturellement un culte de l'argent" (phrase trouvée sur le net).
Diverses questions ont été posées par les intervenants :
- y a-t-il une autre économie que celle de marchés ?
- tous les échanges sont-ils marchands ?
Je laisse les questions ouvertes, faute d'avoir bien saisi les réponses ou les avis.
Je signale pour les courageux qui continueraient à lire qu'on a évoqué Georges Bataille et "La Part maudite", aussi. Je suis allée me renseigner mais très imparfaitement, donc je n'en dirai pas
plus. J'avais d'ailleurs compris "La part de vie" !
Ah, et : la Planche de Carnéade ! La connaissiez-vous ? Moi pas. Carnéade est un philosophe grec antique. Je crois qu'il n'a pas écrit mais il a été repris par Cicéron.
Il s'agit d'un cas de figure qui pose plein de questions et qui est repris dans les cours de droit pénal aussi, à ce que j'ai vu après coup.
Un naufragé repère une planche à laquelle il peut s'accrocher pour ne pas se noyer. Or, un autre individu y est déjà accroché et la planche ne peut accepter qu'une seule personne.
Le choix qui se présente est donc de céder à un égoïsme de survie qui fait noyer l'autre personne pour sauver sa propre peau, ou d'opter pour un altruisme au sens plein, se laisser couler pour
que l'autre vive.
Nous nous sommes souvenus qu'il faut s'aimer soi-même avant de pouvoir aimer les autres, nous avons constaté que le mot égoïsme ne revêtait pas le même sens pour tous les participants. Nous avons
donc continué à raisonner sur la distinction entre le BON et le MAUVAIS égoïsme.
Nous nous sommes dits qu'il faut être quelqu'un d'intelligemment égoïste avant que d'être altruiste, ou tout simplement pour pouvoir l'être.
Nous avons parlé du bénévolat, cela s'imposait. Certains se sont demandés si en faisant du bénévolat, on ne se faisait pas plaisir à soi-même avant tout. Si quand on souffrait de la souffrance
des autres, donc qu'on ressentait soi-même le mal, ce n'était pas égoïstement pour supprimer notre propre mal d'avoir mal pour eux qu'on s'affairait à supprimer celui des autres !
Je garde l'impression qu'il arrive qu'on S'OUBLIE soi-même lorsqu'on va à la rencontre ou au secours des autres. Gunter a mentionné, mais je ne me souviens pas du contexte exact, qu'il était
bénévole à l'écoute des suicidaires. Je voulais simplement le mentionner ici.
On a insisté sur le rôle détourné de l'argent, belle invention pourtant à ses débuts pour les échanges et la communication. Au niveau des nations, on a jugé sévèrement l'Allemagne, qui voudrait
évincer de la communauté européenne les pays qui ne peuvent plus payer, comme la Grèce. On a réfléchi sur le trafic d'organes humains, sur le remplacement des valeurs humanitaires par l'appât du
gain, de l'argent omniprésent : un médecin n'est plus un médecin, maintenant, c'est un "producteur de soins", etc ...
J'ai gardé ce que je trouve le plus beau (!) pour la fin.
Le POTLACH (ou potlatch) !
Je ne connaissais ni le mot ni le concept.
Référence : Marcel Mauss, 1923.
Le potlach, c'est le lien social par LE DON ET LE CONTREDON.
Cette particularité rituelle s'ancre dans la culture amérindienne.
Une société ayant le devoir de DONNER, RECEVOIR ET RENDRE.
Dans nos sociétés occidentales, ce rituel subsiste, par exemple dans les cadeaux échangés à Noël.
Implicitement, le don ne doit pas se mesurer, sinon on reste dans une société inégalitaire.
C'est comme cela que les Amérindiens se sont faits avoir par les colons : si les Amérindiens offraient de l'or, par exemple, ils recevaient de la bimbeloterie en échange, etc ...
Dimitri, un participant, pince sans rire, nous a fait rire en déclarant qu'il venait de comprendre la signification du verbe RENDRE, dans cette optique.
Il a vécu une partie de son existence en Auvergne, où il a été reçu à son certificat d'études. Sa mère lui avait préparé une belle motte de beurre de la ferme pour l'apporter à l'instituteur.
Jusqu'à aujourd'hui il avait toujours pensé que ce geste était insignifiant mais maintenant il comprend que c'était une façon de RENDRE à l'instituteur tout ce que celui-ci lui avait donné !
En gardant à l'esprit ce potlach, pour ouvrir le débat, on s'est demandé si l'on ne pourrait pas introduire des modes de comportement pour réduire les inégalités engendrées par le système
économique actuel.
Epicure soutenait qu'il est possible à tout âge de bien vivre avec plaisir. Mais en n'étant plus asservis par la crainte des dieux, la crainte de ceux auxquels nous sommes asservis, la crainte de
la mort. En évitant, en se soustrayant à ces craintes, on obtient les conditions du plaisir.
Donner, recevoir, rendre, ne pas céder au désir de toute puissance, voilà qui fait notre humanité.
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Image :
visible sur www.indianer-web.de/nordwest/postlach.jpg, entre autres.