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Puma - 10336 puma2 - www.blog-city.info  Point d'interrogation - www.magazine-avantages.fr

 

 

Luther Redtimber fumait sa pipe en méditant au gré du balancement de son rocking-chair tandis que le soleil disparaissait peu à peu à l’horizon. Tout seul, il était tout seul dans son village abandonné. Cela faisait maintenant quatre ans que les derniers habitants avaient déserté. Même sa femme s’était réfugiée chez les enfants à Wichita, la plus grande ville du Kansas, centre géographique des Etats-Unis.


Payton avait bien essayé de le persuader de la suivre, puisque la rivière était à sec, plus rien ne poussait, le gibier avait émigré vers des pâtures lointaines et le bétail avait dû être vendu. Mais elle n’avait pas beaucoup insisté car elle savait qu’il ne fallait pas le déraciner, depuis trois générations que la famille s’était implantée là. Luther était resté dakota et chamane dans l’âme, même s’il n’en parlait pas. Son Grand-père avait réussi l’exploit de faire venir sur leurs nouvelles terres les esprits des ancêtres « sioux », selon le nom donné par les Etats-uniens et Luther conversait avec eux une fois la nuit venue.


Les feuilles broyées dont il bourrait sa longue pipe aidaient à la communication. Substance illicite ?

En principe non : écorce de saule rouge et tabac, mais Luther se contentait-il de cela ? Ce qu’il mettait dans sa pipe ne regardait que lui et comme il fumait toujours dehors, Payton et tout le monde lui avaient toujours fichu la paix ! Ses fils, eux, ne fumaient pas. Tous les deux avaient bien réussi, l’aîné, après des études de droit, était allé s’implanter dans le Minnesota, leur territoire d’origine et défendait les causes de ses frères amérindiens. Le benjamin, d’abord fermier comme son père, avait trouvé une bonne place de magasinier dans une usine de machines-outils, s’était marié avec une Etats-unienne d’ascendance ukrainienne, Katiouchka ; le p’tit gars Andrei et le bébé fille Irina se portaient bien.

Cela lui manquait un peu, l’agitation et les questions du gamin, les babils d’Irina. Heureusement que sa petite famille passait le voir quelquefois, pour une journée, car lui, à la ville, il ne voulait plus mettre les pieds. Il avait essayé mais non, trop de gens pressés, trop de bruit, trop de fureur et de puanteur, il y perdait ses repères.

Payton, sans rien lui dire, remplissait les placards de conserves, de bouteilles d’eau. L’eau, il était bien obligé de la boire parce que la citerne était à sec et celle du robinet ne coulait plus depuis longtemps. L’eau dans des bouteilles ! Cela ne lui paraissait pas naturel, comme si on enfermait l’air dans des bocaux aussi … Pour se laver, il profitait de ses longues randonnées de pêche le long d’un petit affluent du Missouri, comme celui qui traversait leur village, dont la source s’était tarie.


Des fois, il emportait son arc et cela s’était déjà produit qu’une fois rentré, il ait de la volaille à plumer, à vider et à rôtir ! Mais la plupart du temps, il mangeait du pemmican, ce mélange de viande bovine pilée, de baies sauvages et de graisse, sorte de gros pain qui se conservait dix ans au moins, nourriture bien connue des explorateurs polaires.

A quoi s’occupait-il dans sa solitude au village ? Il réparait, renforçait les barrières, les balustrades à grand renfort de clous et de nouvelles planches, car il gardait au cœur la certitude que les gens reviendraient habiter leurs maisons et il en prenait soin. Luther était un bosseur, il aidait même sa femme, avant. Il ne l’aurait jamais traitée de « sqwa » lui, ce mot amérindien honteux, détourné et utilisé avec méconnaissance ou mépris volontaire par certains Européens quand ils s’installaient.


Luther avait un fusil, bien sûr, ce pouvait être utile en cas d’agression. Ce fusil n’était jamais loin, à portée de main, il y avait une balle dedans, mais une seule. En fait, il ne s’en servait jamais, mais il l’entretenait.

Donc ce soir-là, Grand-père dakota lui apparut, comme à chaque tombée de nuit, dans les volutes de fumée. Mais Grand-père était bizarre et son message restait confus. Ce que Luther percevait, c’était du bonheur, qui illuminait son visage glabre et marmoréen, d’habitude grave. La vision qu’il lui apportait faisait danser des papillons tout autour du rocking-chair. Une autre vision très fugace surprit des castors en pleine effervescence, en train de construire un immense mur de branchages très solide. Ils en mettaient un coup et leurs femelles étaient pleines. Mais le printemps est passé, voilà qui est troublant.


Puis le balancement du fauteuil se figea. Derrière la barrière, un animal immobile le contemplait. Par sa perception ultra sensible, Luther comprit que c’était une femelle et, en plus, qu’elle pensait ! Une nouvelle vision, Grand-père ? Celui-ci fit non de la tête. Qui était ce grand puma, qui n’en était pas, tout gris sauf la tête blanche et grise à la fois et des yeux rouges cerclés de noir. Un message clair parvint au vieux bonhomme indien, tandis que la longue queue rayée lui faisait des signes comme la main d’un humain.


«  - Tu me vois, Thinking Bull ? Ma Chef n’aimerait pas ça mais elle ne dira rien, au contraire tu l’intéresseras ! Ton Grand-père te fait danser des papillons autour de ton fauteuil ? C’est par la poésie qu’il saisit ce qui se passe ici. Je dois partir, ma mission est finie, mais fais donc une Danse de la pluie, personne ne te verra et tu nous aideras. Mets-y toute ta conviction, le monde va bientôt changer pour toi ! »


A suivre …

 

Lenaïg

 

 

Sifaka de Madagascar 

Tag(s) : #Roman - Lenaïg - Ils sont là !
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