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FAUSSE PISTE - Rahar - Note de Lenaïg : réédition : polar, âmes sensibles s'abstenir

Il est parfois d'étranges visiteurs qui viennent déposer ici des commentaires qui semblent n'avoir ni queue ni tête. Malveillants ? Pas forcément. Leur mérite est d'attirer mon attention sur des écrits enfouis et le compteur de l'administration fait gagner des lecteurs au blog, peu importe si je les efface au fur et à mesure ! En voici un, de ces commentaires, que je ne vais pas effacer, pour preuve, sur le récit d'un des exploits de KLOTZ, le justicier hors-la-loi, bien aidé de sa femme Yonne la fleuriste au sixième sens. Cette nouvelle de Rahar a été postée la première fois le 3 juillet 2011. La revoir m'a permis de constater que les images initialement choisies n'étaient pas sécurisées. Alors, maintenant, un bouquet de roses et pivoines provenant de Pixabay. Je les offre à maître Rahar, dont j'ai des nouvelles mais qui en ce moment se fait rare sur la toile. Gros zibous, Rahar et reviens-nous !
Lenaïg

FAUSSE PISTE - Rahar - Note de Lenaïg : réédition : polar, âmes sensibles s'abstenir

J’étais en train de rédiger la facture d’un somptueux bouquet de roses blanches, quand Lucille me transfère un appel du commissariat. Sans être vraiment bénévole, je ne suis pas réellement consultante, je ne perçois que le remboursement de mes frais, quels qu’ils soient ; cela peut aller du ticket de bus, au dîner dans un restaurant branché, dans le cadre d’une enquête, bien entendu… Quoique j’avoue en avoir parfois un peu profité. Les formalités, la paperasserie et les tracasseries que me réserverait le fisc ne m’encouragent pas à accepter un poste à temps partiel, et ma boutique marche assez pour que j’aie un niveau de vie plus que décent.
   Je prends ma petite Fiat Twinair (eh oui, j’ai fini par acheter une voiture, surtout pour éviter de « salir mon beau tailleur en me frottant aux gens dans le bus », comme le dit Dany) et je file à l’hôtel de police. Mon permis date de ma sortie de fac, mais la relative faible densité du parc automobile du quartier me facilite la conduite.
   — Yvonne, je crois bien que nous avons un tueur en série.
   — Vous êtes sérieux, commissaire ?
   — Aussi sérieux que le Pape. Au quatrième meurtre identique, n’importe quel bleu en tirerait la conclusion pertinente.
   — Si je comprends bien, vous n’avez pas encore mis la main sur le tueur. Pourquoi ne m’avoir appelée que maintenant ?
   — Jusqu’ici, nous n’avons pas eu le moindre indice. Les victimes sont des jeunes femmes, elles ont été étranglées par derrière, puis violées. Le tueur porte des gants, des préservatifs et il a emporté son instrument de mort.
   — C’est donc un tueur nécrophile méticuleux ?
   — Apparemment oui, il prend son pied avec les cadavres.
   — Donc vous n’avez rien à me montrer. Tant pis, laissez-moi quand même toucher la dernière victime.
   — Ne vous en faites pas, vous la toucherez, mais nous avons eu la chance de récupérer quelques fibres sur le cou de la victime. Le technicien de labo affirme qu’elles sont synthétiques et proviennent d’un cordon de téléphone portable. Nous avons aussi une série d’empreintes de chaussure.
   — Super ! On aura peut-être de la chance.
   Je suspends ma main au-dessus des trois ou quatre fibres noires. C’est très curieux, je ne ressens aucune émotion, pas d’excitation, pas de jouissance au cours de l’étranglement, juste de la détermination. C’est un homme moyen, habillé d’un survêt de jogging sombre, et cagoulé sous sa capuche. Après avoir dénudé brutalement sa victime, il s’est juste débraguetté et enfilé une capote, avant de faire zoom bang bang. Là encore, je n’ai pas ressenti l’extase que devrait éprouver un vrai pervers. Je ne comprends pas.
   Je descends à la morgue. Le légiste sort du frigo la dernière victime, une jeune femme d’une beauté classique et qui semble dormir comme la Belle au Bois Dormant. Je frissonne un peu en touchant cette chair froide. Je ressens violemment la surprise et la panique de la proie et je suffoque. Je ne vois pas mon agresseur : il est derrière moi ; je sens une odeur subtile de bambou.
   Ce que j’ai « vu » ne pourra pas nous aider des masses. Pas un instant, le tueur n’a enlevé son masque, et si je ne le touche pas, je ne peux pas « voir » son visage. Je n’ai que cette odeur de bambou, c’est-à-dire pratiquement rien.
   La première victime était une enseignante blonde qui revenait d’une petite fête entre collègues ; le tueur lui avait pris sa montre. La seconde était secrétaire de direction brune que le boulot avait retenu un peu tard ; elle avait été délestée de ses boucles d’oreille en or. La troisième, une fausse blonde, dirigeait une entreprise d’import-export qui attendait son mari au parking ; on lui avait pris toutes ses bagues. La quatrième était une étudiante brune qui revenait de la bibliothèque ; son netbook avait disparu. Il n’y a rien qui puisse les relier… à part leur beauté peut-être. Sur les lieux de meurtre, il n’y a pas de bambou, donc le tueur utilise une eau de Cologne ou un parfum à l’extrait de bambou, assez peu répandu.
   — Mais non Yvonne, vous avez été d’une aide précieuse. Nous connaissons au moins que le tueur utilise du parfum au bambou.
   — Et comment utiliserez-vous cette information ?
   — Comme vous dites que peu de gens utilise ce parfum, cela restreindra les suspects.
   — Il y a quelque chose qui me chiffonne. Pourquoi ce tueur a-t-il commencé juste maintenant ? Se pourrait-il que ce soit un étranger venu s’installer ici ?
   — Mes inspecteurs ont déjà creusé la question et ont épluché les entrées et les demandes de visa aux frontières. Deux personnes seulement ont décidé de s’établir : un homme grabataire et sa fille qui s’occupe de lui, notre médecine a bonne réputation.
   — Et que dit le réducteur de tête de la police ? A-t-il dressé un profil ?
   — Il a émis deux hypothèses. Soit il s’agit d’un jeune psychopathe dont le syndrome commence à se développer, soit c’est un homme, toujours psychopathe, qui ne peut plus maîtriser ses pulsions et est passé à l’action. Quoiqu’il en soit, c’est un individu faible qui ne se sent pas de force à affronter une victime pour l’attaquer par derrière ; sa nécrophilie est peut-être un pis-aller, il ne peut probablement pas maîtriser une victime qui se débat.
   — Ce qui m’intrigue aussi, c’est qu’il se protège après toute cette brutalité... et qu’il ait dépouillé ses victimes.
   — Que vous dire ? Peut-être qu’il est aussi maniaque de la propreté. Malgré tout, il peut être capable d’un raisonnement logique et craindre le sida. Et puis, il a sûrement voulu avoir des trophées.
  
   Un individu a été arrêté, le petit ami de la dernière victime, un petit escroc à la petite semaine. Les empreintes de pas correspondent à une de ses paires de chaussures, il avait un cordon de téléphone et les fibres trouvées y correspondent. En outre, les inspecteurs ont découvert qu’il se trouvait non loin des lieux des trois autres crimes : dans un bistrot, dans un bar ou dans une boîte. Et son after-shave était parfumé à l’essence de bambou.

                            *

   Je passe à la boutique d’Yvonne. J’ai envie de l’emmener à la pâtisserie d’à côté pour le goûter. Elle m’accueille avec son sourire ineffable… qui s’efface un peu trop rapidement, il y a quelque chose qui la préoccupe. Son commerce est sain et marche pratiquement tout seul. Sa voiture est neuve et je ne pense pas qu’elle ait un problème de traite. Je sais qu’elle aide parfois la police, grâce à son don de voyance ; elle est peut-être confrontée à un problème difficile.
   Yvonne se détend à peine à la terrasse. Je l’amène doucement à se soulager… enfin, à soulager son esprit (je me comprends) en me confiant ce qui la tracasse. Elle me dévoile ainsi l’existence d’un tueur en série et les difficultés de l’enquête. La police a un suspect, mais n’a pas de preuve formelle, rien que des présomptions. Elle est retournée au commissariat pour tester le suspect et éventuellement trouver des preuves. Elle a fait chou blanc : elle n’a pas « vu » le type assassiner qui que ce soit. Néanmoins, ma petite fleuriste émet des réserves, son don ne marche pas à tous les coups, et c’est ce qui la tracasse ainsi : elle ne peut affirmer catégoriquement si le suspect est coupable ou non.
   Au cours de mes déambulations, j’entends une rumeur assez inquiétante. Quelqu’un s’apprête à lancer un contrat ouvert sur la tête du petit ami de la dernière victime. Un quelconque policier a dû avoir la patte graissée par un journaliste et a laissé filtrer l’arrestation d’un suspect. N’importe quel tueur peut concourir à un contrat ouvert, il doit cependant fournir une preuve de sa prestation pour être payé. Qui donc est derrière cette manigance assez insolite ?
   À mon avis, Yvonne a vu juste et le suspect est bien innocent. D’ailleurs, le gabarit ne correspond pas : sans être un athlète, il ne semble pas être une mauviette ; et puis un after-shave, bon marché qui plus est, ne dure absolument pas jusqu’au soir, j’en sais quelque chose. Et comme je n’apprécie pas trop qu’on bute un innocent, je lance la rumeur que le suspect est victime de coïncidences et qu’il faut abandonner le projet de contrat. Je sais que les résultats ne sont pas garantis, mais au moins j’aurai un peu de temps pour effectuer une petite enquête.
   Quand j’ai eu connaissance de l’identité des victimes, j’ai tout de suite été frappé par la troisième. C’était la sœur de Ray Montesky, le chef du gang des Croix Gommés (hasch, coke, crack et Cie). Pourtant, quand je lui ai envoyé un émissaire pour le sonder, il avait protesté de son innocence dans cette rumeur de contrat. Il aimait bien sa sœur, mais il était parvenu à la même conclusion que moi, à propos de la carrure du petit truand et de sa lotion (il a aussi dans sa poche un ripou qui l’informe).
   Un autre fait me fait tiquer. Seule la sœur de Ray était mariée. N’était-ce qu’un hasard ? Je demande à Romain de faire des recherches. Jack Addy, le mari de la victime est un gringalet bellâtre, issu d’une famille ruinée, joueur invétéré (son ardoise est plutôt conséquente) ; d’ailleurs, Ray le déteste autant qu’il le méprise, mais sa sœur en était vraiment entichée.
   La nuit, après avoir bordé mon petit Dany, je m’équipe pour une petite virée. Je déjoue les alarmes de la résidence des Addy, je mets mon masque anti-gaz et ouvre le robinet de la petite bouteille de puissant somnifère. J’ai tout mon temps pour fouiller les chambres de la maison. Jack était en train de faire boum crac avec une fille de joie quand le soporifique a fait son œuvre. L’idée m’effleure de lui dessiner des ronds avec le rouge de la fille sur les fesses, mais je me retiens, ce ne serait pas sérieux.
   Je connais presque toutes les cachettes possibles, j’ai été à bonne école auprès d’un des meilleurs monte-en-l’air. C’est fou ce qu’il y a de caches secrètes ici ! Évidemment, la turne, bien que rénovée, est une maison d’époque où plusieurs générations de Montesky s‘étaient succédées. Quand Ray a mal tourné, il s’est fait construire une bicoque ultra moderne que même Johnny Depp ne pourrait pas s’offrir.
   Ma trouvaille était dans la cache la plus évidente ; le petit Jack n’a peut-être pas été assez malin pour trouver les autres. J’y déniche une montre de femme, dorée mais de peu de valeur ; c’est le même modèle que celle de la première victime. Ce n’est certainement pas la montre de Mme Addy qui porterait plutôt une Rolex ou une Seiko. Je pense donc que ce petit rat de Jack n’a pas jugé profitable de mettre ce toc au clou. Je prends des clichés sous tous les angles, permettant d’identifier la pièce à la décoration particulière de la bicoque, je n’oublie pas de prendre la montre en gros plan. Enfin, je rentre, satisfait.
   Je me suis contenté de semer les photos dans mon sillage. Toute la pègre connaît maintenant le coupable et j’espère que le projet de contrat, si projet il y a, sur le petit truand sera abandonné. Je compte aussi sur les indics de la police pour informer officieusement celle-ci.
   J’ai suggéré à Yvonne de faire faire le tour des prêteurs sur gage, la police pourrait bien tomber sur quelque bonne surprise. Effectivement, les boucles d’oreille et les bagues ont été retrouvées, mais le notebook a dû faire l’objet d’une transaction hors circuit ; c’était suffisant pour arrêter Jack Addy. Bien entendu, la suggestion a été portée au crédit de ma fleuriste, augmentant son prestige.
   Entre-temps, l’Éboueur a reçu une proposition de contrat. Le commanditaire ne veut donc pas que Jack Addy aille jusqu’au procès et croupisse seulement en prison. Je me doute que son beau-frère, qui ne le porte déjà pas en son cœur, a voulu venger sa sœur, et ne veut pas qu’on rattache cet assassinat à sa personne, le fieffé coquin ! Moi, ça m’arrange, et puis l’État va faire des économies.

                            *

 

 

   Georges m’emmène à la pâtisserie, cela devient un rite… mais cela me plaît assez ; heureusement, les douceurs ne me font pas grossir. Cela me fait rigoler de le voir manger comme un aristocrate et boire son capuccino, le petit doigt en l’air. Il a l’air impassible, mais quand je l’ai touché, il jubilait intérieurement à propos du succès d’un boulot.
   — Finalement Georges, c’est grâce à toi qu’on a pu arrêter le vrai « faux » tueur en série.
   — Sans ton… hum… ressenti ma chérie, je n’aurais pas été sur la bonne voie. Un vrai psychopathe aurait été au bord de l’extase quand il étrangle sa proie. Ensuite, sa perversité serait tellement au paroxysme qu’il aurait joui dans une explosion d’émotions. Enfin, il est peu probable qu’un vrai pervers se soucie d’enfiler une quelconque capote dans son impatience fébrile : il devait quand même se dépêcher, surtout si c’était le crépuscule.
   — Donc tu en as déduit que le type était normal et simulait froidement un tueur en série. Il fallait trouver un mobile. Quand la police s’est intéressée à la vie de Jack Addy, il s’est avéré que c’est un drogué du jeu. Il a donc voulu se débarrasser de sa femme sans être soupçonné, pour mettre main basse sur l’entreprise, afin de satisfaire son vice.
   — Lequel vice l’aurait inévitablement amené à déposer le bilan en peu de temps.
   — Néanmoins sa combinaison a été un coup de génie.
   — Et tu l’admirerais ? Voyons Yvonne, ce n’est qu’un crétin qui s’est cru malin. Son addiction au jeu l’a perdu : il s’est empressé de mettre au clou son larcin.
   — Il est quand même dommage qu’il n’ait pas eu son procès.
   — Bah, n’aie pas de regrets, on aura au moins économisé l’argent du contribuable.
   Je le regarde fixement, mais m’abstiens de le toucher. Jack Addy a succombé à un choc anaphylactique selon le légiste. Il y avait de l’arachide dans son dernier repas commandé auprès d’un traiteur. On n’a su trop tard qu’il y était mortellement allergique. Je n’ai hélas aucun doute, Klotz a encore frappé. Je termine avec philosophie mon excellent café.

 

RAHAR

Tag(s) : #Les nouvelles de Rahar, #Articles
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