Le peintre a fini sa sieste et repousse la tenture de la fenêtre, qu'il avait obscurcie pour trouver le sommeil en ce début d'après-midi écrasant de soleil. La toute jeune fille, son modèle, ne s'est pas éloignée de la maison, elle est restée sur le banc dans le jardin, à lire La semaine de Suzette tout le temps de la sieste du peintre. Elle est rentrée dès qu'elle a entendu le peintre bouger à l'intérieur. Pour ne pas perdre le fil de sa lecture, sachant que le maître lui fera encore prendre toutes sortes de poses inconfortables, elle se choisit une autre pose, agenouillée, penchée en avant, coudes à l'aise dans l'épaisse étoffe marron, son illustré appuyé sur le dossier.
"-Tu n'es pas allée rejoindre des amies et t'amuser ?
- J'aime trop lire, et rêver, j'aime bien être seule !"
Le peintre examine les diverses esquisses et s'interroge sur l'orientation qu'il va prendre. Le visage de la fillette est si fascinant, si intériorisé, comme si tous ses traits convergeaient vers le centre au lieu de s'ouvrir aux alentours ... Rien de commun avec la Vénus de Botticelli aux yeux grands ouverts et très expressive :
Rien à voir non plus avec les visages féminins de Cranach l'ancien, à part la teinte presque monochrome et les
sourcils et cils perdus dans la blondeur ... Ces trois regards-là disent : "Nous savons que nous sommes femmes et que notre beauté attise la convoitise ..."
Ce ne sera pas non le regard très sage d'une petite fille comme celle de Renoir :
Ni celui de la jeune fille d'Edgar Maxence, en âge de se marier, qui s'absente , pour rêver à son prince charmant, ou à ... la liberté ?
Il est tenté de s'attarder sur ce regard hors de la pièce de la jeune fille qui lit, comme absente aussi, ce visage qui dégage la sérénité d'être dans un ailleurs qui la comble d'aise, en laissant de côté l'ensemble de la silhouette. Mais non ! Il va s'en tenir à son idée première : la naissance du désir et de la sexualité féminine. Oh, pas un tableau très osé, comme La leçon de guitare, qui fait encore crier de haine les bigots et bien-pensants, à sa grande satisfaction. Fi de l'hypocrisie et du déni ! Le peintre ne se le formule pas ainsi mais il est féministe avant l'heure. Il n'ira pas aussi loin dans ses oeuvres que son ami Courbet mais il soutiendra celui-ci à tout prix. L'Origine du monde, quel beau titre à un tableau !
Il se dit :
« Je vois les adolescentes comme un symbole. Je ne pourrai jamais peindre une femme. La beauté de l’adolescente est plus intéressante. L’adolescente incarne l’avenir, l’être avant qu’il ne se transforme en beauté parfaite. Une femme a déjà trouvé sa place dans le monde, une adolescente, non. Le corps d’une femme est déjà complet. Le mystère a disparu. »
Il a trouvé son orientation ! Cette fois, il va montrer la toute jeune fille dans un mélange d'innocence et de désir montant et il va exposer la jouissance des sens en la présence de son chat, incarnation de la sensualité sans notion de péché ! Ainsi naîtra Jeune fille au chat ! Son chef-d'oeuvre, douceur et fureur, et tout son univers rassemblé dedans !
Et lui, Balthus, ne cèdera jamais aux sirènes de l'abstrait, ne s'expliquant jamais, prouvant que le figuratif peut être infiniment énigmatique ...
Lenaïg
Pour le défi lancé par l'Amiral Ô :
À L'ABORDAGE !
DEFI n° 105
"LA TOILE SE DEVOILE"
( METTRE EN TITRE DE VOTRE ARTICLE POUR LA LISIBILITE)
À partir de cette toile du peintre BALTHUS,
donnez libre cours à votre imagination,
racontez votre histoire en prose ou en poésie
en utilisant un ou plusieurs éléments
ou personnages du tableau,
en démarrant ou terminant votre texte par cette scène,
en cherchant à retranscrire ce qu'a voulu exprimer le peintre...
Les choix sont multiples, ouverts et libres.
Bonne création !!!!!
L'Amiral Ô
Postez votre texte pour le
Lundi 24 juin à 08 heures
(programmez)
et n'oubliez pas les Jeudis en poésie
thèmes "En attendant l'été" le 20 juin
"Le Peintre" le 27 juin