Dans un endroit secret, des autorités de justice parallèles, inconnues des dirigeants de notre monde, délibèrent sur des cas qui leur sont soumis. Ce comité-ci traite les affaires dites bénignes, des confrontations limitées sans violence physique, mais qui relèvent néanmoins de problèmes de fond de la société. Sommes-nous vraiment dans notre univers ? Ou dans un univers parallèle ? Nous l'ignorons mais les vents nous en apportent des bribes, que nous retransmettons.
- Donc, trois individus en présence :
- une femme de soixante ans,
- une jeune mère (accompagnée de sa fille et de sa propre mère, les trois seront classées comme étant la même entité),
- un homme métis (cela a, pensons-nous, son importance, donc précisons-le tout de suite), suffisant, plutôt fourbe et pas courageux, qui n'aurait pa dû s'en mêler, mais nous, nous allons démêler ses mobiles, et vite fait !
- Les faits :
- Dans le métro, la femme de soixante ans, debout pendant tout son trajet, presque terminé, voit entrer dans le wagon la jeune mère et sa fille, tandis que la grand-mère entrait par une autre porte ... La mère et la fille s'apostrophent bruyamment, prises dans l'urgence du moment ! La mère dit à sa fille, de trois ans et demi : va vite, Mamie t'a trouvé une place assise ! La petite fille ne se fait pas prier et se précipite, en écartant tout le monde sur son passage de ses petites mains.
- La femme de soixante ans, en plein dans le chemin, sent donc les petites mains qui l'écartent du chemin et murmure, en souriant intérieurement, alors que la petite fille a déjà filé : "mais il ne faut pas pousser les gens comme ça, voyons !" et croit l'affaire close. La femme de soixante ans aurait dit cela à sa propre petite-fille, même de trois ans et demie, pour commencer à lui apprendre qu'il faut respecter les autres autour de soi, etc.
-
La jeune mère suit sa fille et, tout à coup, le murmure de la femme de soixante ans fait
tilt dans sa tête ! Elle revient sur ses pas et lance à la soixantenaire, à très haute voix, une phrase toute prête et ô combien entendue, éculée : "Vous avez un problème ?"
- La soixantenaire, qui en a entendu d'autres dans sa déjà longue vie, répond calmement : "j'ai juste dit à votre fille qu'il ne fallait pas bousculer tout le monde". La jeune mère ne se tient plus : "Mais ma fille n'a que trois ans et demi, vous n'avez pas honte ?" tandis que la grand-mère lance, à son tour : "Vous voulez nous faire un procès ?"
- C'était parti ! Quelle horreur se dit la soixantenaire qui garde son calme (apparent) et qui est quand même piquée au vif et elle réplique en s'adressant à la jeune mère seulement : "Madame, votre fille bien sûr n'est pas responsable, c'est à vous de lui apprendre à faire attention aux gens autour d'elle". S'en suit une salve d'injures de la part de la jeune mère, tandis que la soixantenaire, alors, sur impulsion, répète et répète à voix modérée : "votre fille n'est pas une reine, votre fille n'est pas une reine, votre fille n'est pas une reine".
- Et du coin de l'oreille, la soixantenaire finit par capter aussi un grommellement, elle sent les yeux du gromeleur fixés sur elle et contemple le troisième intervenant, appuyé sur les portes du wagon. Que dit-il, lui, peu désireux que tout le monde entende, contrairement à la jeune mère : "Tu vas crever, vieille connasse, tu vas crever, vieille connasse, tu vas crever, vieille connasse !" La soixantenaire soutient le regard de ce trentenaire et répond, du tac au tac, sans lui demander de quoi il se mêlait : "Oui, je suis vieille ! Bien sûr que je vais crever ! Mais ce que vous dites ne m'affecte pas, imbécile !" Il se tait et c'est l'arrêt de la soixantenaire, qui sort, sous les injures de la jeune mère qui la suit presque jusqu'à la porte, enragée.
- Après courtes délibérations, verdict et sentences :
- Pour la soixantenaire, qui aurait mieux fait de se taire mais qui a raison au fond : pas de peine particulière, elle affronte les premières difficultés sociales et même physiques de la vieillesse, elle se débat avec ses problèmes divers à résoudre et il est fort probable que, même sans s'être sentie affectée, l'incident l'a marquée, entrant pour une part non négligeable dans sa grosse crise de larme irrépressible quelques jours après. Elle n'a pas cru en être soulagée, mais pourtant si.
-
Pour la jeune mère : punition nécessaire. Nous la transporterons, en la
dédoublant, au moment où elle ne s'y attendra pas, pendant une semaine dans une école primaire, une classe très difficile : chaque fois qu'elle voudra établir le calme, faire arrêter les
enfants de crier partout à pleins poumons, peu importe comment et si elle l'obtient, ce qui est important, outre le fait qu'elle croira devenir folle et n'en pourra plus à chaque fin de
journée, ce sont tous les parents qu'elle aura sur le dos et qui l'attendront à la sortie le soir ou lui demanderont des rendez-vous pour des prises de bec musclées et pour avoir osé
réprimander leurs petites anges. L'attitude de ces parents, notre comité n'est pas chargé de l'examiner, mais nous sommes conscients que certains parents paient très cher par la suite ce manque
d'éducation et d'avoir fait de leurs enfants des petits rois ... Et la jeune mère, désormais, ne montera plus sur ses grands chevaux dans le métro, peut-être même qu'elle saura formuler des
p'tites paroles d'excuse sympas tout en faisant comprendre à son enfant ensuite qu'elle n'est pas toute seule et qu'elle ne peut prendre toute la place quand elle sort de chez elle. Et elle
suivra, ainsi que sa propre mère, une thérapie pour se libérer de l'expression orale par seuls propos orduriers ou termes juridiques histrioniques. Il semble que la politesse ait sauté deux
générations, gageons que l'arrière-grand-mère n'aurait pas agi ainsi.
- Pour l'individu plein de haine : dédoublé aussi, et affecté un mois durant au vidage et nettoyage des montaubans dans une maison de retraite pour qu'il sache ce que c'est que la vieillesse, la vraie, pour qu'il soit conscient de ce qui l'attend, inexorablement. Mais nous ne le lâcherons pas pour autant : son racisme ordinaire antiblanc, phénomène bien plus fréquent qu'on ne le croit et qu'on ne veut le reconnaître, si on n'y a pas été confronté, ainsi que son racisme anti-femme-vieille, fléau de l'époque, seront traités par le comité de la lutte contre l'hypocrisie de la pensée unique.
Lenaïg
Illustrations :
- Intérieur de rame de métro, oeuvre de Mary Baird Smith, expo à voir ici : clic !
- Marteau : acnoo.com, portail du Maroc, News et Service.
- Jay Z expliquant à une vieille dame qui il est : clic !