Le tout petit brin d'herbe est beau,
des gouttelettes sur son dos !
Qu'on l'arrache, qu'on le piétine,
Il revient, résiste et s'obstine !
Il se redresse, fort et haut,
Ah oui, le brin d'herbe est costaud !
Et serait-ce donc par malice
Qu'il occupe tout interstice ?
Entre le béton, le ciment,
Il se faufile comme avant !
Sur lui j'avais prévu d'écrire ...
Des grands ont déjà su le dire ...
Lenaïg,
pour le deuxième jeudi d'Eglantine
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Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe,
Quand sur l'eau se penchant une Fourmi y tombe.
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmi
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe aussitôt usa de charité :
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant qui marchait les pieds nus.
Ce Croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête,
La Fourmi le pique au talon.
Le Vilain retourne la tête :
La Colombe l'entend, part, et tire de long.
Le soupé du Croquant avec elle s'envole :
Point de Pigeon pour une obole.
Jean de la Fontaine
(1621-1695)
***
Le brin d'herbe
À quoi sert un brin d’herbe? — À rien,
Dit l’aigle à la serre puissante.
— Moi, répond la taupe innocente,
Par dessous je ne vois pas bien.
— C’est notre pain quotidien,
Dit la brebis reconnaissante.
— C’est l’œuvre toujours renaissante
Du créateur, dit le chrétien.
Et le poète solitaire
Que, jusqu’au trépas, le mystère
De la nature fait rêver,
En lui-même songe avec joie :
Le brin d’herbe est fait pour sauver
La fourmi quand elle se noie.
Gustave Le Vavasseur
(1885)
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Song of myself 1 et 2
(Chant de moi-même)
Je me célèbre moi,
Et mes vérités seront tes vérités,
Car tout atome
qui m’appartient t’appartient aussi à toi.
Je paresse et invite mon âme,
Je me penche et paresse à mon aise . . . . tout à la contemplation d’un brin d’herbe d’été.
Maisons et pièces regorgent de mille parfums . . . . les étagères débordent de
parfums,
J’en respire moi-même l’arôme, je le connais et je l’aime,
Cette quintessence pourrait m’enivrer à mon tour, mais je saurai lui résister.
L’air n’est pas un parfum . . . . il n’a pas goût de cette quintessence . . . . il est inodore,
Il s’offre éternellement à ma bouche . . . . j’en suis épris,
Je veux
aller sur le talus près du bois, j’ôterai mon déguisement et me mettrai nu,
Je brûle de
sentir son contact.
La buée de mon propre souffle,
Échos, clapotis et murmures feutrés . . . . racine d’amour, fil de soie, fourche et
vigne,
Mon expiration et mon inspiration. . . . . les battements de mon coeur . . . . le passage du sang et de l’air dans mes poumons,
L’odeur des feuilles vertes et des feuilles sèches, du
rivage et des rochers sombres de la mer, du foin dans la grange,
Le son des mots
éructés par ma voix . . . . mots livrés aux tourbillons du vent,
Des baisers à la
dérobade . . . . quelques étreintes . . . . des bras qui enlacent,
Le jeu de la lumière et de l’ombre sur les
arbres aux branches souples qui ondulent,
Walt Whitman
Leaves of grass
(1855)
Traduction française de Gilles Mourier ; clic !
En anglais :
http://www.poetryfoundation.org/poem/174745
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Illustrations :
Touffe d'herbe chez les Végétaliseurs.com : clic !
Coccinelles sur un brin d'herbe : fr.freepik.com
Mains dans l'herbe : pixabay.com image gratuite.