Le couvre-feu ! Ma mère m'a raconté ce couvre-feu à l'heure de l'Occupation pendant la Seconde Guerre mondiale et comment, par exemple, dans la région des Monts d'Arrée, derrière des volets bien clos, les fins de semaine, des bals avaient quand même lieu, où de braves jeunes filles et des jeunes gens parfois résistants réussissaient à se faufiler pour s'amuser et oublier la gravité de leur époque et profiter de leur jeunesse pas du tout insouciante.
Mais le couvre-feu en 2020 prend une autre dimension : ne plus se rassembler la nuit a pour objectif de limiter la propagation d'un ennemi invisible, insidieux, ce virus contre lequel nous n'avons pas encore de remède. Depuis l'arrivée de ce virus, la sidération ne m'a pas quittée, renforcée par le port isolant du masque, les cafouillages des mesures gouvernementales et l'inscription dans une durée indéterminée du nouveau danger.
Personne ne sait l'efficacité des mesures imposées, alors moi je ne vais pas les contester mais je reste indignée par le mensonge du début sur le fait que le public n'avait pas besoin de masques (parce qu'on avait omis de se réapprovisionner). Si moi je ne serai pas beaucoup gênée par l'interdiction de mettre les pieds dehors après 21 h, je comprends bien les difficultés et les drames que la mesure provoque chez les bistrotiers, les restaurateurs et les gens du spectacle et même chez les jeunes qui ruent dans les brancards et chercheront à contourner l'interdiction en se réunissant clandestinement eux aussi.
Les patrouilles policières nocturnes distribueront des amendes et séviront, pas question pour elles de passer en s'écriant : "Il est [telle] heure, braves gens, dormez en paix !" comme les chevaliers du guet d'autrefois, une évocation qui n'est pas liée au couvre-feu mais qui apporte de la légèreté à la morosité du moment. Ce cri du chevalier du guet dans la ville en fait interrompait les malfrats dans leurs basses-oeuvres car avertis, ils se carapataient et ne se faisaient pas prendre souvent, paraît-il. Et je me souviens de la chanson : "Qu'est-ce qui passe ici si tard, compagnons de la Marjolaine ?" pour moi nimbée de mystère quand j'étais enfant. Ce chevalier dans la chanson semble s'être porté volontaire non pour protéger les citoyens mais pour se chercher une fiancée, seulement il lui faut prononcer la bonne motivation pour obtenir ce qu'il veut. De nos jours, cela ne pourrait avoir lieu dans nos contrées, on ne marie plus les jeunes filles, elles ont heureusement leur mot à dire.
Pour en revenir à ce couvre-feu, tentons d'écrire notre ressenti sur le sujet, que ce couvre-feu nous concerne directement ou que nous suivions l'actualité. Comment ce couvre-feu résonne-t-il en nous ? J'ignore qui étaient ces compagnons de la Marjolaine (une confrérie d'artisans ?) mais nous, nous sommes les compagnons d'écriture, bonne inspiration et gros zibous !
Lenaïg
- Chevaliers du guet : « Le guet veille ! Il est onze heures, bonnes gens ! Dormez, le guet veille ! Il est minuit, bonnes gens ! Dormez, le guet veille ! » (à décliner selon les heures de la nuit).
- Le guet qui faisait la ronde de nuit dans les rues de Paris et des autres capitales européennes (mais aussi des grandes villes de province) était en fait, une milice aussi bourgeoise que nocturne, censée sécuriser les voies de Paris (places, cours, quais, rues, ruelles et venelles), fort peu sûres au Moyen Âge comme à de nombreuses autres époques.
- Dans chaque quartier, regroupés en confrérie, riches artisans comme grands et petits bourgeois, brillamment équipés (voir La Ronde de nuit de Rembrandt) se donnaient, finalement, à peu de compte, un rôle et des émotions qui les changeait de leur routine journalière de boutiquier, de changeur ou de notaire.
- Comme on les entendait venir de loin, les aigrefins, coquins, vide-goussets et autres tire-laines, avaient tout le temps de regagner Vauvert ou la cour des miracles. Cependant il leur arrivait, tout de même, d’appréhender quelques ivrognes ou malfrats sourds-muets qu’ils s’empressaient de remettre à « Messire le prévôt du Roy flanqué de ses gens d’armes ».
Marcelle Bordas et René Hérent " le chevalier du guet " 1935
Marcelle Bordas et René Hérent " le chevalier du guet " avec orchestre disque 78 tours Discoflex-baby n°58 de 1935