Il tente de se redresser. Ses bras ankylosés et ses jambes endolories lui arrachent une grimace de souffrance. Il se tient dans un premier temps à genoux, scrutant intensément la profondeur de la nuit. Ses yeux s'habituent peu à peu à l'obscurité. Derrière lui, il aperçoit une végétation dense, composée d'arbres qui s'apparentent à des pins et en contre-bas, il distingue une petite route sinueuse. Il comprend alors qu'il se trouve à l'orée d'une forêt. Dans un intense effort, il parvient enfin à se redresser. Mais des ronronnements sourds de moteurs et des lumières de phares sur l'asphalte le contraignent à s'accroupir par précaution. Une traction stoppe le long du talus suivie d'un deuxième véhicule de même type et d'un camion militaire. Benoit entend le claquement des portières. Un individu de haute taille sort de la première auto, bientôt rejoint par deux autres personnes vêtues de longs manteaux de cuir noir. Benoît, le cœur battant, tapi derrière un arbre et mouillé jusqu'au cou, surveille le groupe d'hommes tout en tentant de surprendre leur conversation.
– Docteur De Laville ? Ce dernier opine de la tête en guise de réponse.
Son interlocuteur ne s'en formalise pas et poursuit avec un fort accent allemand.
– Capitaine Bruder Feuer au service de la Gestapo. Où se trouvent les résistants ?
– Ils sont retranchés dans l'ancienne ferme des Puyrémaud à environ trois kilomètres d'ici, au lieu-dit Le Puy Grand.
– Très bien, Docteur. Mais, si vos informations s'avéraient inexactes ou si vous nous conduisiez à un traquenard, comprenez que vous et votre famille en pâtiriez lourdement. Est-ce compris ?
Delaville secoue la tête pour acquiescer et rejoint rapidement son véhicule.
Le convoi se remet en route. Benoît, stupéfait par les révélations qu'il vient d'entendre, reste un instant interdit, incapable de réagir. Puis, mu par une force implacable, s'élance à travers la forêt. Indifférent aux branches d'arbres qui lui fouettent le corps et à la pluie qui lui cingle le visage, il court à perdre haleine. Il chute sur des racines, se relève, poursuit son ascension, porté par un seul et unique espoir : arriver au plut tôt au Puy Grand. Une certitude le pousse à agir. Une joie sans faille. Son grand-père n'était pas coupable. Il doit changer le cours du temps. Perdu dans ses pensées, entraîné par sa course folle, il ne remarque pas une silhouette qui l'observe en haut de la butte. Le voilà soudainement plaqué au sol, le canon d'un pistolet dirigé vers la tempe.
– Tu m'as l'air bien pressé, mon gars ! Où vas-tu si vite ? Qui es-tu ?
Malgré la peur qui l'étreint, Benoît s'écrie : « Laissez-moi partir, je vous en prie ! Il en va de la vie de plusieurs personnes ! »
– Relève toi ! Et explique-toi ! Je t'avertis, si tu tentes de t'enfuir, je te tire comme un lapin.
Benoît se redresse et fixe l'homme qui lui fait face. Il le reconnaît aussitôt. Il ne peut pas se tromper. Cet homme est son grand-père. Il ne l'a jamais vu, mais il a tant de fois feuilleté les albums photos avec Mamette. Il en a la certitude. Mon Dieu, c'est incroyable ! Il en reste muet de joie et d'étonnement. Ce dernier le ramène fermement à la réalité.
– Alors, tu parles !
Benoît lui raconte brièvement car le temps presse le récit de la scène à laquelle il a assisté.
– Pas une minute à perdre ! Il faut y aller ! Vite, dépêche-toi ! Tu m'accompagnes, aussi. J'aurai d'autres questions à te poser après.
Benoît ne se fait pas prier. A la fois fou de bonheur et d'appréhension, il s'élance derrière Jean Demaison. Les voilà bientôt arrivés au sommet du coteau qui domine l'ancienne ferme des Puyrémaud. Une salve de mitrailleuses, des cris et des hurlements de douleur les accueillent.
– Couche-toi, lui intime Jean. Ne bouge-plus. Tous deux assistent, impuissants, à l'altercation qui se déroule sous leurs yeux. Déjà, plusieurs corps ensanglantés gisent à terre. Un groupe, les bras levés, sort de l'habitation en ruine, conduits à coups de crosse vers le camion.
– Nom d'un chien, murmure Jean, la voix brisée par l'émotion. Le vieux Roger, le petit Jules, Catherine... Il faut décamper d'ici et avertir nos camarades de Bègles avant qu'il ne soit trop tard pour eux aussi.
A suivre
Victoria