Ah, revoici maître Rahar ! Mais cette fois, pas d'enquête de ce cher Lock Kwan et Nini pour coincer les malfrats, pas de justicier hors-la-loi du genre de Klotz non plus. Nous sommes en plein coeur de l'action : la fuite de deux aventuriers braqueurs. Parviendront-ils à leurs fins en emportant leur butin ? Doutons-en fortement et attendons-nous à frémir. Quand on réussit un casse, même sans tuer pour cela, il s'agit de ne commettre aucun faux-pas sinon l'horizon ne peut que s'assombrir et il se peut que l'horreur attende au tournant. Âmes sensibles s'abstenir de lire !
Note de Lenaïg
Paul Terguest et Meg Halloman étaient des fugitifs. Ils venaient de braquer une agence de change, et avaient joué de malchance : le garde avait tenté une action héroïque, et Paul avait dû tirer sur lui, le blessant, mais pas mortellement ; en s’effondrant, celui-ci avait arraché le foulard qui masquait le visage du bandit et avait pu ainsi voir son visage. Compte tenu de la situation inattendue, les deux braqueurs avaient été contraints à une fuite précipitée ; néanmoins, Meg avait pu récolter un butin appréciable, surtout en devises.
À quelques kilomètres de la ville, à l’orée de la réserve forestière, ils durent abandonner leur véhicule — volé évidemment — en effaçant toutes les empreintes. Meg dissuada Paul de brûler la voiture : la fumée risquait d’attirer l’attention, surtout en plein jour.
Tout le monde à l’agence a vu ma binette. Je suis obligé de m’expatrier, toi tu peux rester ici. Cherchons une clairière dans la forêt pour partager le butin, ensuite on se sépare. Qu’en dis-tu, Meg ?
— Écoute Paul, ce que j’ai raflé est bien sûr conséquent, mais nettement insuffisant pour nous assurer une vie de rentiers. Alors, traversons la frontière pour tenter un meilleur coup… Au fait, comment allons-nous passer de l’autre côté ?
— T’en fais pas, j’ai un contact. Eh oui, je l’ai sous le coude depuis un certain temps, justement pour le cas où… Je vais l’appeler. »
Contrairement aux apparences, les deux braqueurs n’étaient pas des Bonnie & Clyde, leur association était de pur intérêt. Paul était un ancien fonctionnaire désabusé ; n’étant pas assez élevé dans la hiérarchie, le revenu qu’il tirait de la corruption n’était pas mirifique. Il avait rencontré Meg au garage de celle-ci, quand sa voiture personnelle avait eu besoin d’une révision générale.
On ne pouvait pas dire que Meg tirait le diable par la queue, mais elle n’avait pas le train de vie auquel elle pensait avoir droit. Elle était évidemment en bute au sexisme et au machisme de ses confrères, et beaucoup de gens doutaient de la compétence d’une petite bonne femme en mécanique. Qu’elle eût décroché un rang honorable au cours de runs et de courses officielles, ne changeait pas grand’chose, la mentalité des gens opposait une inertie notable au changement.
Par une facétie du sort, ces deux-là se trouvèrent des atomes crochus. Mais ce n’était assurément pas dû à la passion de l’amour ; ils avaient un physique quelconque, et ne pensaient aucunement à la bagatelle. En fait, chacun trouva une oreille complaisante pour déverser sa désillusion et sa rancœur, dénonçant l’injustice de la vie en général et de la société en particulier. Ils se trouvèrent une passion commune pour la littérature de série B. De fil en aiguille, leur mentalité dévia sensiblement vers le crime.
Décidant de s’associer pour chercher à améliorer leur existence, ils élaborèrent divers plans tirés de leur lecture, tirant leçon des failles des scénarii. Finalement, ils optèrent pour le braquage d’une agence de change, simple mais intéressant. Paul détenait une arme, et Meg était une pilote, sinon hors pair, du moins honorable… et elle savait voler une voiture, les doigts dans le nez.
Le contact de Paul, un passeur, n’était pas disponible : pour le moment, il avait en charge d’autres fugitifs criminels. Toutefois, si Paul était pressé, il indiqua un itinéraire un peu plus long, mais aussi sûr ; à mi-chemin, il y avait une sorte de gite d’étape très discret, mais approvisionné, pour passer la nuit. Très peu de passeurs en connaissaient l’existence. Le contact envoya par MMS une carte grossière, mais suffisante pour ne pas se perdre, grâce aux repères qui y étaient portés.
« Alors Meg, tu es toujours décidée à me suivre ?
— Et comment ! Je n’aurai plus à m'en faire pour les traites de mon garage, je veux démarrer une nouvelle vie… et qui sait, trouver enfin quelqu’un pour fonder un foyer. Allez, ouvre le chemin. »
Après quelques kilomètres de marche, la nuit était tombée très vite, mais grâce à la torche de la voiture volée, les deux comparses purent atteindre la misérable cabane de bois baptisée pompeusement « gite d’étape », nichée dans une petite clairière. En faisant un panoramique avec la torche, Meg vit non loin trois ou quatre croix plantées en terre. Cet espace était probablement un cimetière. Comble de luxe, accolé à la cabane, il y avait un petit cabinet d’aisances.
L’intérieur du gite n’était pas aussi austère que le laissait présager l’aspect extérieur. La cabane avait deux pièces et une petite cuisine, bien calfeutrés. Le mobilier, quoique fort rustique, assurait un certain confort : chaque pièce avait son lit de bois, au matelas rembourré d’herbe, sa table et ses tabourets. La cuisine avait une cheminée ; ses étagères ployaient sous les provisions, des conserves essentiellement, assez proches de la péremption, ce qui laissait entendre que ce gite d’étape était rarement utilisé. Le buffet contenait des céréales et des légumineuses.
A suivre
RAHAЯ