Irène Terranova, 97 printemps et toutes ses dents mais pas d'origine, fête son anniversaire et elle reconnaît que son gâteau, une forêt noire, est absolument délicieux. Pour une première, sa fille a réussi son exploit et toute la famille se régale. Elle est contente aussi d'avoir quitté quelques jours la maison de retraite où elle réside depuis que la vieillesse l'a privée de sa pleine autonomie et même si elle n'entend plus très bien malgré ses appareils, voir sa progéniture, petits et grands, s'ébattre autour d'elle lui fait grand bien. Heureusement elle ne se déplaît pas, à sa maison de retraite, mais l'atmosphère y est parfois pesante, forcément, et le personnel efficace dans l'ensemble mais toujours très pressé parce trop peu nombreux.
"Restez dans le jardin, je ne veux pas que vous alliez jouer dans la rue !" lance une voix masculine, celle de l'un de ses petits-fils. Et tandis que les grands papotent autour d'elle, Irène fait semblant de sommeiller dans son fauteuil. Elle se souvient de son enfance à Marseille, dans un quartier pauvre où le terrain de jeu privilégié, c'était la rue, justement ! Les mamans surveillaient les gamins de leurs fenêtres et se parlaient de l'une à l'autre, en étendant leur linge par exemple, sur les fils tendus entre les pâtés de maison. Les adolescents évitaient de traîner sous les fenêtres et avaient d'autres lieux de rendez-vous, pour éviter une surveillance enquiquinante !
Tout à coup, elle entend à nouveau l'une de ces mères appeler : "Ivo, monta !" Et elle sourit dans son coin : eh oui, ce grand gaillard qui faisait déjà le beau, qui avait tenté de l'embrasser un jour et qu'elle avait repoussé à grand peine mais fermement, ce grand gaillard n'en menait pas large devant sa mère et n'attendait pas trois fois avant de rappliquer dare dare chez lui en grimpant les étages quatre à quatre, c'était le futur Yves Montand, dont le pseudonyme venait de cet appel de sa mère italienne quand il était temps qu'il remonte chez lui.
Elle aussi faisait partie des "ritals" comme les nommaient ceux qui ne les aimaient pas parce qu'ils étaient hostiles à l'arrivée des réfugiés italiens fuyant la montée du fascisme. Mais elle avait eu sa bande d'amis et aucun ostracisme entre eux, les problèmes de mésentente concernaient leurs parents. Ce ne fut que plus tard qu'elle prit conscience de combien ils leur avait fallu galérer pour se faire leur trou au soleil marseillais. Bien vite elle était devenue "Irène" et non plus "Irréné", sauf pour sa mère !
Irène ouvre les yeux et rencontre le regard d'une de ses arrières-petites-filles qui s'écrie : "Regarde, grand-mamie, maman et moi nous avons cueilli cette rose pour toi ! J'avais hâte que tu te réveilles !" "Oh, je ne dormais pas, ma mignonne, je fermais juste les yeux et je me rappelais de vieux souvenirs. Comme je suis gâtée, d'abord le gâteau, maintenant cette belle rose rouge !" Tout en restant à jamais Irène Terranova, la vieille dame redevient Madame Mac Lochlainn, veuve d'un vaillant Ecossais, en compagnie de qui elle a beaucoup bourlingué pour revenir finir ses jours en France, mais bien loin de Marseille.
Lenaïg,
inspirée par un souvenir de L'Ours castor (mais qui n'a pas grand chose à voir !) et par la succulente forêt noire de sa cousine Mathilde samedi après-midi dont on peut voir la photo !
Par jill bill dans Accueil le (Participation à mettre sur votre blog le mercredi matin, personnage réel ou fictif au choix...Ecriture, dessin, photo acceptés, merci !) Commencé avec Bertille le...
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