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- Louanne, qu’est-ce que tu mâchouilles depuis cinq minutes ?
- Rien maîtresse, répond-elle en rougissant.
- Tu te moques de moi ! Tu sais que les chewing-gums sont interdits à l’école.
- Ce n’est pas un chewing-gum.
- Allez, montre-moi.
Confuse, la petite brunette sort de sa bouche une pâte rose indéfinissable.
- C’est une fraise Tagada.
- Tu en as d’autres ?
Après un instant d’hésitation, avec des larmes au bord des yeux, elle sort de son pupitre un paquet de fraises Tagada.
- J’imagine que maman ne te l’a pas donné pour manger en classe mais pour le goûter pendant la récréation.
- Ce n’est pas maman, c’est papy.
- Eh bien, dans tous les cas, je te le rendrai à ce moment-là. Et maintenant au travail !

 

Mademoiselle Larry l’examine du coin de l’œil avec un sourire attendri. Elle est mignonne, cette gamine, serviable, timide, appliquée et appréciée de tous ses camarades.
Toujours troublée par la remontrance dont elle a été l’objet, Louanne tente de se concentrer sur son exercice. Mais, le regard qu’elle jette au plafond comme si elle réfléchissait intensément, ne trompe pas son institutrice. Cette dernière observe son visage aux joues rondes percées de fossettes, son petit nez en trompette, ses grands yeux noirs et ses longs cheveux bouclés. On croirait voir un petit ange.

 

Catherine Larry adore son métier, l’école des Lilas où elle enseigne depuis cette année et encore plus ses élèves de CP. Tous les jours, elle franchit d’un pas allègre, les grandes portes du bâtiment, s’attarde quelques minutes à regarder les enfants déjà présents et file dans sa classe préparer les derniers détails de sa journée de travail.
Il est environ dix heures lorsqu’on frappe à la porte. C’est Elisabeth Duroy, sa directrice qui entre en coup de vent.

 

- Louanne est-elle là ?
- Non, elle est absente aujourd’hui, répond Catherine.
- Est-ce que l’un d’entre vous l’a vue ce matin ? demande-t-elle aux élèves.
- Non, s’exclament-ils en chœur.
- Et toi Hugo, tu prends bien le même bus qu’elle ? L’as-tu aperçue ?
- Non Madame, elle n’était pas dans le car.
Elisabeth a l’air soucieuse et préoccupée.
- Que se passe-t-il ? s’inquiète Catherine.
- On se retrouve avec toute l’équipe après les cours ! lance-t-elle sans épiloguer plus et elle ressort rapidement.


 

La matinée semble interminable à Catherine qui imagine une foule de scénarios. Enfin, c’est l’heure de la sortie. Elle confie un groupe de gamins à la surveillante chargée de les conduire à la cantine et le reste aux parents venus les récupérer. Puis elle se précipite vers le bureau de Madame Duroy où ses collègues sont déjà rassemblés.
 

- Voilà, annonce Elisabeth d’une voix tremblante, la petite Louanne Dumas a disparu.
Tout le monde se regarde effaré.
- Comment ça ? Que s’est-il passé ? s’enquiert Luc Leroux, le maître de CM2.
- Son papa qui embauchait très tôt était déjà parti. Sa maman était en retard ce matin pour se rendre à son travail. Elle voulait dans un premier temps déposer sa fille à l’arrêt du ramassage scolaire. Or, un camion de livraison bouchait l’entrée de la rue. Voyant sa mère perturbée par la crainte de ne pas arriver à l’heure à la boulangerie où elle est vendeuse, Louanne lui proposa de continuer à pied. Cette dernière hésita mais comme il ne restait que cent mètres à parcourir, qu’il n’y avait aucune chaussée à traverser, elle accepta après mille recommandations. De plus, la fillette lui promit d’être très prudente et de bien rester sur le trottoir.

 

Mais, vers 9 h30, Monsieur Casaud le chauffeur du bus, profitant d’une coupure, s’arrête prendre son pain et s’enquiert auprès de Madame Dumas des raisons de l’absence de sa fillette.
 

- Elle était malade aujourd’hui, la petite Louanne ?
- Mais non, pourquoi ? s’exclame-t-elle étonnée.
- Parce qu’elle n’a pas pris le car ce matin.
- Je vous passe la suite. Ses parents affolés m’ont appelée pour savoir si elle était en classe et ont signalé sa disparition à la gendarmerie. Je n’en sais pas plus pour le moment.

 

Avec ses collègues, Catherine a espéré que Louanne allait rentrer chez elle, qu’elle avait peut-être raté son bus et qu’elle s’était égarée pour rejoindre sa maison. Mais les jours ont passé et l’espoir de la voir réapparaître s’est amenuisé pour s’effacer totalement.
Et un matin, son corps fut découvert dans un fourré par un groupe de randonneurs.
L’affaire ne s’arrêta pas là car quelque temps plus tard, dans un village voisin, un petit garçon disparaissait également puis une autre petite fille dans un rayon de dix kilomètres. De même que Louanne, leur corps fut retrouvé en pleine campagne.

 

Mais l’enquête piétinait : aucun témoin, aucune preuve.
Dans les alentours, tout le monde se méfiait de tout le monde. Les parents angoissés refusaient la moindre sortie à leurs enfants ou les accompagnaient en les surveillant scrupuleusement. Tous avaient peur de ce prédateur qui étranglait ses victimes, sans état d’âme.
Et puis, un matin, l’inspecteur Deville se présenta à l’école pour un complément d’information.

 

- Mademoiselle Larry, demanda-t-il auriez-vous quelques éléments à me fournir ? Une conversation avec Louanne, des mots surpris entre élèves, une anecdote quelconque à me soumettre ?
- Non, j’ai beau réfléchir, je ne vois pas, répondit Catherine. Pauvre petite quand je pense que la veille de sa disparition, je l’avais grondée parce qu’elle mangeait des bonbons en classe.
- Des bonbons ! Quels bonbons ? s’exclame-t-il.
- Des fraises Tagada. Pourquoi ?
- Qui le lui avait donné ? s’étrangle-t-il d’excitation.
- Son papy. Du moins c’est ce qu’elle m’a dit.
- Merci, Mademoiselle Larry ! hurle-t-il
- Mais, qu’est-ce que ….

 

Deville lui coupe la parole, sort son portable et aboie : « Vite, rendez vous chez la famille Dumas et tachez de savoir où réside le grand-père de la petite ! »
Catherine le considère d’un œil interrogateur alors Deville lui confie que la seule similitude entre ces trois meurtres était le paquet de fraises Tagada qui gisait à côté des corps. Sans doute une ruse pour attirer les enfants à monter dans sa voiture.
- Je ne peux pas croire qu’un grand-père puisse tuer sa petite-fille, déplore Catherine.

 

La sonnerie du portable retentit. Deville écoute son interlocuteur avec attention.
- Merci, Brigadier, j’arrive.

 

- Vous aviez raison, Mademoiselle Larry, Louanne n’a plus de grand-père. Seulement un voisin trop gentil pour être honnête qu’elle avait pris l’habitude d’appeler papy.
 

 

De la fenêtre de son bureau, le capitaine de police, Catherine Larry, observe la circulation dense à cette heure de pointe. Elle a regagné depuis peu la capitale mais ses pensées s’envolent vers un petit village de Lozère où elle vient de passer plusieurs mois.
 

- Eh bien, Capitaine, demande le commissaire Dugrain qui vient d’entrer dans la pièce, comment s’est passée votre immersion dans l’enseignement ? Je dois reconnaître que votre idée était géniale. Grâce à vous et à l’inspecteur Deville nous avons pu coincer cette ordure qui sévissait depuis quelques années dans le département.
- Très bien, commissaire, ce fut une merveilleuse expérience.
- Vous n’envisagez pas de nous quitter, j’espère.
- Non commissaire, car je pense qu’avant le plaisir d’éduquer les enfants, il est primordial de protéger leur vie.

 

Dugrain qui envisageait de poursuivre la conversation, s’arrête tout à coup, ému, en apercevant une larme qui coule sur la joue de Catherine.
Elle revoit le doux visage angélique de Louanne et murmure, bouleversée : « Toutes ces horreurs à cause d’un paquet de fraises Tagada ».

 

Victoria

Tag(s) : #Victoria - sois chez toi !
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