Une petite histoire inspirée par la manie qu'avait mon petit-fils de tirer la langue à tout propos.
Victoria
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Quel joli cadeau, merci Victoria !
La langue pendante, nous allons suivre les mots et les images d'un suspense de conte de fée très moderne. Je ne veux rien dévoiler mais pourtant rassurer un peu les lecteurs qui se demandent si nous n'allons pas nous trouver face à des personnages aussi peu recommandables que ceux des deux précédentes histoires : non, mais une inquiétude reste planer : que va-t-il advenir de la langue fugueuse de José d'Ussel ?
Note de Lenaïg
- Moi, je m’appelle Mathis et j’ai presque cinq ans. Je suis coquin, remuant mais très affectueux. Je suis brun, j’ai les yeux marron dans lesquels brillent des nuances vertes en pleine lumière. J’ai un sourire malicieux légèrement ébréché suite à l’une de mes nombreuses chutes. Faut dire que je suis toujours en mouvement et que je me déplace plutôt en courant qu’en marchant. Mamie dit que je ressemble à José d’Ussel.
Avez-vous déjà entendu parler de José d’Ussel ? Mamie le connaît très bien. C’est incroyable ! Tout comme moi, ce gamin collectionne les bêtises et il lui arrive toujours des histoires extravagantes. C’est bien simple lorsque je viens d’imaginer une sottise, invariablement, elle dit : « Tu sais ce qui est arrivé à José d’Ussel ? ». Et là, je tends l’oreille car je sais que je vais entendre une histoire extraordinaire.
La première fois qu’elle m’a parlé de lui, j’ai été fortement impressionné.
Depuis quelque temps, j’avais pris l’habitude de tirer la langue à tout bout de champ, principalement lorsqu’on ne voulait pas céder à mes caprices. Quand c’était l’heure du bain et que je voulais encore jouer, quand il fallait manger des haricots verts et que je préférais passer directement au dessert, quand il fallait ranger les jeux qui jonchaient le sol de ma chambre alors que cela me fatigue, quand il fallait aller au lit bien que je n’avais pas sommeil, je m’enfuyais en tirant la langue.
Ça énervait maman, ça agaçait papa et même si je savais que je risquais une sévère punition, je ne pouvais m’en empêcher. L’autre jour, mamie m’a ordonné de rentrer parce qu’il commençait à pleuvoir. Je voulais encore profiter de la balançoire, j’ai refusé. Elle a insisté. Je lui ai tiré la langue.
Elle s’est écriée : « Comme tu es laid ainsi ! ».
Ce qui ne m’a nullement bouleversé car je sais qu’elle me trouve très beau. Aussi, j’ai réitéré mon geste. Et là, elle s’est exclamée : « Je connais un petit garçon qui tirait toujours la langue. Sais-tu ce qui lui est arrivé ? ».
- Non, ai-je répondu intrigué. Qu’est-ce qui s’est passé ?
- Eh bien, a-t-elle poursuivi, il a perdu sa langue.
Là, j’ai été très ébranlé mais un peu sceptique quand même. J’ai poursuivi : « Comment s’appelle-t-il ce petit garçon ? ».
Mamie a marqué un temps d’arrêt puis a répondu : « José, il se nomme José ».
- Et où habite -t-il ?
- Il vit à Ussel.
- Comme toi ?
- Oui, dans mon quartier.
- Et comment a- t-il perdu sa langue ?
- Elle s’est sauvée.
- Comment s’est-elle sauvée ?
- Elle a sauté de sa bouche et elle s’est échappée.
Plutôt troublé, j’ai continué à la questionner.
- Pourquoi s’est-elle échappée ?
- Parce qu’elle en avait assez d’être toujours à l’extérieur. Quand il faisait froid, elle grelottait. Quand il faisait chaud, elle transpirait. Quand il pleuvait, elle s’enrhumait. Ce n’était pas une vie pour une petite langue bien tranquille.
Là, j’ai senti une boule se former au fond de ma gorge. J’en ai même avalé ma salive de travers mais je voulais en savoir plus.
- Qu’est-ce qu’il a fait José ?
- Oh là là ! Il était très malheureux.
- Pourquoi ?
- Parce qu’il ne pouvait plus parler : sans langue, c’est impossible. Tiens, à l’école, quand son maître l’interrogeait, il chuchotait : « Mmme ! ». Et il passait pour un nigaud. Quand ses copains l’invitaient à jouer au foot, il criait : « Mmme ! ». Alors ils pensaient qu’il se moquait d’eux. Bientôt tout le monde l’ignora. Il restait dans son coin tout seul et il pleurait.
- Il ne l’a pas cherchée sa langue ?
- Oh si ! Sous son lit, dans son coffre à jouets et même dans le jardin mais elle restait introuvable.
- Où était-elle passée ?
- Ah ! c’est une longue histoire. Figure-toi que la petite langue qui n’avait jamais quitté la bouche de José ne connaissait pas la ville. Elle s’était enfuie rapidement sans regarder autour d’elle. Aussi, elle se trouva bientôt perdue dans une ruelle très sombre.
Soudain un orage éclata. Le tonnerre grondait, des éclairs zébraient le ciel et un véritable déluge de pluie s’abattit sur elle. Frigorifiée et tremblante de peur, elle se réfugia entre deux poubelles. Elle se croyait sauvée lorsqu’elle perçut un frôlement furtif. Une ombre approchait lentement et deux yeux brillants la considéraient avec gourmandise.
- C’était quoi ? articulais-je haletant.
- Un énorme rat noir ! Bien content de découvrir un bon repas, il souriait de toutes ses dents tranchantes.
- Il l’a mangée !
- Il a failli la dévorer mais au moment même où il s’élançait vers elle, un « miaou » strident retentit. Un chat sorti dont ne sait où bondit sur le rat qui détala sans attendre. La petite langue terrorisée s’enfuit aussi vite qu’elle put.
- Et après, qu’est-ce- qu’elle a fait ?
- Elle a marché très longtemps. Tout à coup, elle a aperçu une lumière. Elle s’est approchée. Elle est arrivée devant une jolie maisonnette. En regardant par la fenêtre entrouverte, elle a découvert un petit garçon qui somnolait dans un fauteuil.
- Comment s’appelait-il ?
- Heu ! Nicéphore. Donc profitant d’un bâillement de Nicéphore, elle sauta dans sa bouche pour s’y installer.
- Nicéphore ne s’en est pas aperçu ?
- Penses-tu ! La petite langue sait être très discrète et puis il était presque endormi.
- Elle est restée avec lui ?
- Eh non ! Elle était très délicate et Nicéphore ne se lavait jamais les dents. Elle était tellement incommodée par les restes d’aliments coincés entre les dents et la mauvaise haleine du garçonnet qu’elle a déguerpi, écœurée.
- Moi, ai-je annoncé avec fierté, je me brosse les dents tous les matins et tous les soirs avant de me coucher. Mais après, qu’est-ce qu’elle a fait ?
- Comme le soir tombait, elle s’est abritée dans un couloir d’immeuble pour passer la nuit au chaud. Le lendemain matin, une porte s’est ouverte et une adorable fillette toute blondinette avec de grands yeux bleus comme des morceaux de ciel est sortie. Elle portait un cartable sur son dos. Elle partait à l’école.
- Comment s’appelait-elle ?
- Heu ! Elle s’appelait, elle s’appelait Lou.
- Comme ma sœur ! Oui mais ma sœur ne va pas encore à l’école. Elle est trop petite.
- Cette Lou- là était plus grande bien sûr. La petite langue l’observait. Elle sentait bon. Elle avait un très joli sourire qui découvrait de belles dents blanches et elle riait tout le temps.
- Pourquoi riait-elle tout le temps ?
- Parce qu’elle avait un caractère heureux. Si le soleil brillait, elle riait. Si un oiseau chantait, elle riait. Et là, elle était tellement ravie de retrouver ses camarades de classe qu’elle éclata de rire. La petite langue subjuguée par tant de gaité n’hésita pas. Elle s’envola dans la bouche de la petite Lou.
- Ouah ! Encore !
- Mais bien sûr, elle ne voulait pas rester seule. Elle s’ennuyait et puis, elle avait compris que le monde était trop dangereux pour une petite langue sans défense.
- Et après, elle n’a plus quitté la petite Lou ?
- Pas du tout. Figure-toi qu’en chemin Lou a rencontré ses copines : Julie, Charlotte et Clémentine. Elles se sont racontées les évènements du week-end. Lou était la plus bavarde. Elle n’arrêtait pas de jacasser. Elle avait une foule d’anecdotes à leur apprendre. La petite langue était ballotée de droite à gauche et de haut en bas au point d’en attraper la nausée. Elle continua à babiller pendant les cours malgré les remontrances de la maîtresse et pendant la récréation, elle caqueta tellement que la petite langue avait l’impression de se trouver au milieu d’une volière. Elle fut soulagée lorsque Lou rentra chez elle, pensant prendre quelque repos. Hélas ! Notre incorrigible pipelette conta par le menu sa journée d’école à sa maman. Alors une violente migraine vrilla les tempes de la petite langue et elle décampa aussitôt.
- Mais alors où est-elle allée ?
- Eh bien, elle a erré toute la journée comme une âme en peine ne sachant ce qu’elle allait devenir. Et sans s’en apercevoir, tellement elle était perdue dans ses pensées, elle se trouva bientôt devant une maison qui lui semblait familière.
- Elle s’avança sur la pointe des pieds et distingua une silhouette recroquevillée au pied d’un arbre. Elle comprit tout à coup que cette pauvre créature misérable qui sanglotait à chaudes larmes en gémissant des « Mmme » désespérés, était José. La petite langue se sentit envahie de pitié car elle l’aimait beaucoup son petit José. Après tout, ils avaient toujours vécu ensemble ces deux-là. Alors n’écoutant que son bon cœur, elle réintégra la bouche de José.
- José, José ! A table !
- J’arrive maman ! Mais je parle ! s’extasie-t-il radieux. Et il comprend soulagé, que sa petite langue est revenue.
Moi aussi, je me sens soulagé. Non mais quelle histoire !
- Et tu sais depuis ce jour-là, José d’Ussel n’a plus jamais tiré la langue.
C’est bizarre depuis quelques jours j’évite aussi. Après tout, on ne sait jamais.
Victoria