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LE NÉCROMANT - 4/4 - RAHAR

En outre, faire fonctionner les générateurs ne suffisait pas, il y avait la question de la distribution de l’électricité. Mais Gilles était imperturbable, chaque chose en son temps affirma-t-il. Ram repensa au même problème, quand il s’était occupé du générateur Gamma. Il faudrait des kilomètres de fil conducteur pour parvenir à Iveuldède, et le dessi-maître savait que le fil restant à la cité des dieux ne suffirait jamais.

Les compteurs déballèrent leurs livres et s’y plongèrent. En fait, c’était de grands cahiers dans lesquels avaient été recopiées des cartes. Ils avaient finalement réussi à situer sur leurs cartes l’emplacement du site, ainsi qu’accessoirement les deux pics encadrant la colline arrondie. Les cartes les plus anciennes indiquaient qu’il y avait un barrage là, il y avait également un petit lac de retenue qui n’avait laissé qu’une dépression herbeuse à peine humide. La gorge au-delà du barrage proprement dit, était un défilé sec et pierreux s’étendant sur plusieurs dizaines de stades.

Le cours d’eau le plus proche, le fleuve Keudo, était à presque une dizaine de stade. Au cours des siècles, les cours d’eau pouvaient changer de lit et de direction, et c’était probablement le cas de ce fleuve. En consultant des cartes relativement récentes, les compteurs constatèrent qu’aucune cité répertoriée ne dépendait de ce cours d’eau. Les bricoleurs soupirèrent de déception, il semblerait que leur mission allait tourner court ; ils avaient tellement potassé les ouvrages sur les barrages hydroélectriques. Leur nécromant se serait-il fourvoyé pour une fois ?

« Demandons-nous pourquoi ce barrage a cessé de fonctionner, proposa Ram.

— Ce jeune homme n’a pas tort, appuya un bricoleur. Nous ferions mieux de chercher comment l’eau a alimenté l’ouvrage, et comment elle a disparu.

— Vous les bricoleurs, allez examiner les machines et vous familiariser avec eux, décida le nécromant. Nous, nous allons enquêter dehors.

— Mais vous avez besoin d’un bricoleur pour identifier d’éventuel problème, protesta une bricoleuse.

— Je connais ce jeune étranger, intervint une compteuse, c’est le fameux Ram Sèce qui a permis d’illuminer la cité de Friy. Je pense qu’il est le mieux placé pour déceler toute anomalie… s’il accepte de nous aider, bien sûr.

— Oh, je crois qu’il va nous aider de son propre gré, claironna Gilles, il est trop curieux et intéressé par notre mission. »

La figure de Ram s’était renfrogné, mais il ne dit rien, le sale gamin avait raison. Nèfe et lui accompagnèrent donc le nécromant et les compteurs.

L’équipe commença alors le tour de la dépression, témoin de l’existence d’un ancien lac. Elle finit par tomber sur l’important lit asséché d’un cours d’eau qui devait alimenter le lac, elle n’avait plus qu’à le remonter pour parvenir à sa source théorique, et voir pourquoi l’eau s’était tarie.

À un peu moins d’une dizaine de stades, le lit fut interrompu par un éboulis cimenté par des siècles de sédiments. En grimpant par-dessus, la troupe constata derrière, le fleuve repéré sur les cartes. Les compteurs, y compris Nèfe, virent tout de suite qu’un cataclysme, naturel ou non, avait dévié son cours. Car les indices étaient formels, c’était le fleuve qui avait alimenté le lac du barrage.

Les compteurs étaient découragés, l’assurance du jeune nécromant avait été ébranlée, si on devait rétablir le cours originel du fleuve, il faudrait une main d’œuvre considérable, et aussi beaucoup de temps, sans parler des risques encourus. Nèfe éprouva également une pointe de déception, elle était navrée pour ces gens qui avaient tellement espéré pouvoir améliorer leur vie. Quant à Ram, il ne disait rien, il observait tout simplement, mais avec intérêt.

La troupe s’en revint au barrage la queue basse. Le plus abattu était peut-être Gilles, son prestige allait en prendre un sérieux coup. De son côté, le jeune dessi-maître marchait, pensif, l’esprit apparemment absorbé par quelque réflexion absorbante. Nèfe qui l’observait à la dérobée, se doutait que son ami cogitait fermement, et cherchait fort probablement une solution.

L’équipe avait rejoint les bricoleurs qui n’avaient pas chômé : ils avaient trouvé le modèle du barrage dans leurs ouvrages, et pensaient pouvoir le faire fonctionner, peut-être pas à sa pleine puissance, ni même à son activité de croisière, mais suffisamment pour satisfaire le modeste besoin en éclairage. L’air de chien battu des compteurs les avait douché, la mission était donc un fiasco.

Alors que les autres se morfondaient, Ram farfouillait un peu partout, regardant dans des armoires métalliques, ouvrant des tiroirs… C’est ainsi qu’il tomba sur une pile de documents jaunis qu’il roula en rouleau. Personne, à part peut-être Nèfe qui le connaissait bien, ne prêta attention à lui, rien n’avait plus d’importance.

Gilles s’était comme recroquevillé dans un coin. Pour une fois, ses yeux reflétaient le doute, les esprits s’étaient-ils joués de lui ? Il pensa à la honte qui le poursuivrait, oserait-il paraître devant le Conseil ? Pour lui qui n’avait jamais failli, l’échec était insupportable. Désormais, on se moquerait de lui. Il éclata brusquement en sanglots. Les autres se figèrent, interloqués. Le célèbre nécromant qui pleurait ! Nèfe sentit quelque chose remuer en elle. Elle s’approcha du garçon, ne sachant trop comment le réconforter.

« écoute Gilles, ce n’est pas ta faute, tu as fait de ton mieux, mais les esprits se sont sûrement trompés.

— Tu ne comprends pas, on n’aura plus confiance en mes visions, je n’ai plus qu’à me pendre.

— Tu n’exagèrerais pas un peu ? Sache que tout le monde peut faire des erreurs, il faut avoir l’humilité de le reconnaître, ce n’est pas honteux. Tu dois te ressaisir, tes concitoyens ont encore besoin de toi, de ta faculté. Allons, sèche tes pleurs, personne ne t’en veut.

— Merci Nèfe, tu as raison, je ne dois pas me défiler… C’est bon, retournons chez nous. »

Le retour au bateau n’avait pas été triomphal, l’équipage fut consterné par l’air morne des membres de l’expédition. Ram fut invité à monter à bord avec son vélo volé, on n’en était plus à se reprocher quoi que ce soit.

Nèfe demanda discrètement à son ami ce qu’il avait pris dans la salle de contrôle.

« Je sais que tu ne fais jamais rien sans raison, mon cher Ram, que sont donc ces documents ?

— Je n’y ai jeté qu’un coup d’œil, mais j’ai l’intuition qu’ils sont très intéressants et ont une grande valeur. Quand on retournera chez nous, on va convoquer le Conseil.

— De quoi ça parle donc ?

— Patiente un peu ma chère, je n’aimerais pas les étaler ici. »

 

De retour à Friy, Nèfe et Ram se présentèrent à leur guilde respective. Le jeune dessi-maître en profita pour demander de faire réunir le Conseil, pour une communication de la plus haute importance. Il en donna bien entendu, un aperçu au maître de sa corporation, mais il préférait exposer les détails de son idée au cours du Conseil.

Sous l’œil très intéressé des membres du Conseil, Ram déroula les documents du barrage. On y voyait des points surmontés de noms, des lignes les reliant à un point commun, et des annotations techniques absconses. Le dessi-maître avait aussi prié Nèfe d’amener le Grand Maître Compteur.

« Arrêtez-moi si je me trompe, maître, mais je pense que ces schémas indiquent que le barrage fournissait en électricité diverses cités antiques, leur nom vous dit peut-être quelque chose.

— Effectivement jeune homme, ce sont les noms de très anciennes villes, et curieusement, certaines des cités actuelles ont été bâties sur ces anciens emplacements. Mais où veux-tu en venir ?

— Eh bien, j’ai fait un petit détour à la bibliothèque, et j’ai découvert que les barrages amenaient l’énergie aux villes par des câbles souterrains. Je pense qu’il ne sera pas difficile de les trouver, on peut d’ailleurs recourir à l’aide des voyants.

— Cela est très bien, intervint l’aîné du Conseil, mais en quoi cela nous intéresse-t-il ? Nous avons déjà notre générateur Gamma.

— C’est vrai, ô sage, mais les autres cités n’ont pas eu notre chance. Je sais qu’Iveuldède a perpétré un acte peu honorable, mais c’était pour acquérir les bienfaits de l’électricité. Elle ne pourra les obtenir qu’avec notre aide, et il faut aussi que les cités figurant sur les cartes de raccordement en bénéficient aussi.

— Je ne te savais pas si altruiste, jeune dessi-maître, intervint un conseiller. Mais c’est tout à ton honneur.

— Euh… c’est surtout que Nèfe a eu beaucoup de peine devant la déception des gens d’Iveuldède, plaisanta Ram.

— Mais tu as aussi suggéré de ramener le fleuve Keudo dans son ancien lit, à l’aide de nos boules explosives. Quel bénéfice en tirerons-nous donc ?

— Eh bien, nous aurons la considération et le respect des cités raccordées, elles contracteront ainsi une dette morale que notre politique pourra bien exploiter, je fais confiance au Conseil pour trouver comment. »

Ainsi fut fait. Il fallut plusieurs jours pour remplir le lac de retenue, avant d’ouvrir les vannes qui allaient alimenter les turbines. Plusieurs cités reconnaissantes furent raccordées au réseau électrique. L’énergie ne servait évidemment que pour l’éclairage, le débit du barrage étant maintenu loin de ses capacités, tant que les bricoleurs ne sussent encore utiliser toutes les machines de contrôle.

Le jeune nécromant était sorti plus mûr de l’épreuve, il fut ainsi convaincu que les esprits ne mentaient pas, mais il avait appris l’humilité et l’avantage de l’entraide. Il était reconnaissant envers Nèfe qui l’avait empêché de sombrer dans la déprime, et il avait de la gratitude envers Ram. Celui-ci aurait bien pu le laisser se débattre dans son fiasco, mais le dessi-maître lui avait ainsi appris à être au-dessus de toute mesquinerie, pour le bien de l’humanité dont toutes les cités font partie.

1 Voir « Le fort du bout du monde »

 

Fin

 

RAHAЯ

LE NÉCROMANT - 4/4 - RAHAR

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