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Défi des Crôqueurs de mots,
Dômi confiant la barre à Lenaïg pour la quinzaine

Défi des Croqueurs n° 160 : un personnage sort du roman - L'évadé de Millefeuille, Marie Louve

L'évadé de Millefeuille

Les yeux rivés sur son clavier, elle laissait courir ses mots au bout de ses doigts qui lui parlaient de moi.  J’étais son antre sacré, son temple qui la contemplait depuis le matin.  Elle me paraissait absente de moi. Pourtant, depuis le début, j’étais sa page blanche à chacune de ses fins. Son éternel recommencement. Non.  N’interprétez pas trop vite. Je ne suis pas son Sisyphe. Je n’ai pas la forme. Je vis par elle, mais elle ne le sait pas. Elle m’emporte, me rêve et m’écrit librement, ce que sa vie ne peut lui offrir. Pour l’instant et pour elle, je joue sa passion des mots qu’elle injecte à l’encre virtuelle sur des lignes en veine d’un filon amoureux, d’un désir de séduire. La traitresse ! Elle me trompe sans le savoir. C’est moi qu’elle aime. Je suis son acteur, elle est mon auteur. Nous sommes un couple. Vous ? Des voyeurs !

Je parle avec elle, je dors avec elle, je rêve avec elle. Je connais tous ses secrets. Pas elle. Je me plie à ses quatre volontés, je la suis croit-elle. Rien n’est plus faux. Elle m’écrit donc je suis. Je me lie sur toutes les pages de son roman Millefeuille toujours en réécriture. À force de m’inventer, de son abstraction, je prends vie. J’en ai marre de jouer un Araos sur un piédestal. Je descends de mon socle, moi,  héros plus que parfait  pour masquer l’impossible idéal de l’art de m’écrire.  Je suis là, nu devant elle. J’attends son regard.

En sourdine, Fantaisies et fugues pour clavier, musique de Bach flotte dans la pièce. Cela lui rappelle un vieil amant qui dessinait avec grand talent des espaces à remplir. Pour moi, aucune importance, il est déjà mort d’ennui. Moi, je suis toujours demeuré à ses côtés au milieu de son nulle part qui l’envahit depuis sa naissance. Elle vit parce que j’existe. J’attends son regard. Ce regard qui me traverse le cœur pour entendre chacun de ses battements avant que monte en moi ce désir de m’unir à elle et qu’enfin éclate ma vie en elle et par elle. Je lui parle, elle écoute Bach. Ses doigts pianotent sur le clavier pendant qu’Araos mon avatar fuit de dangereux criminels sans papiers sur ses pages dans son roman  Millefeuille.  Je ne crains rien. Je suis son héros, mais j’attends son regard et j’ai froid planté là, nu au milieu de son décor minimaliste. C’en est assez. Je marche vers l’armoire vitrée, je glisse ma main sur sa surface pour que s’ouvre sa porte coulissante,  j’empoigne la bouteille de Cognac Napoléon VSOP et me verse une généreuse quantité dans un verre approprié à ce précieux réchauffant. Avant de refermer, d’une main adroite, je laisse tomber au sol un verre de cristal qui se brise dans un tel fracas  que seul un mort ne peut entendre.

Enfin, ce bruit la sort de sa bulle créatrice. Elle m’aperçoit. Les yeux écarquillés par la surprise de voir un homme nu dans sa chambre d’écriture en train de boire son Cognac.

-       M’enfin ! Que faites-vous là ? Qui vous autorise à vous glisser ainsi dans mes appartements ? Vous auriez pu avoir au moins la décence de vous vêtir avant de vous présenter devant moi !

-       Je suis en fuite Madame et qui plus est, par votre faute ! Vos gorilles me pourchassaient. Je me devais de leur survivre pour mieux vous servir        

-       Mais enfin ! Qui êtes-vous ? Je ne vous connais point.

-       Que si Madame ! Je suis de vous, Araos, votre héros bien-aimé dans votre roman de vie Millefeuille toujours en réécriture. Vous m’avez inventé une vie, donc me voici. À vous de savoir me faire un avenir maintenant

-       Quoi ? Mais vous êtes fou. Que vais-je faire de vous dans ma vie ?

-       Votre amant Madame. Je suis votre amant.

-       Tut..tut..tut… un instant jeune homme !  Vos airs d’Apollon drapé de votre nudité ne m’en imposent pas.

-       Je n’ai rien d’Apollon. Je répète. Je suis votre Araos, un évadé de votre Millefeuille pour mieux vous servir.

Elle me dévisageait telle une bête étrange en cherchant au fond de sa mémoire dans quel espace nous nous étions déjà croisés. Nous n ‘étions pas sortis du bois !

***

Défi des Croqueurs n° 160 : un personnage sort du roman - L'évadé de Millefeuille, Marie Louve

2) Entre elle et moi

Quand je ne suis pas là, je vouvoie en vous et en moi.

Je la regardais encore dans ce corps désuni qui cherchait son manteau d’avenir posé sur  des questions et des détournements de raison.  Pour la sortir de cet état éclaté, je lui tendis la coupe ronde de son cognac. Elle la prit avec des lettres de départs pillées sur une table mise dans au service dépareillé qui, sans raison, allait si bien ensemble.  Elle fit cul sec d’un trou pour sortir de là. Bach ne tournait plus ses boucles et Walton parlait comme un fou en musique sortie d’un asile sans abri social. Il globe-trottait avec une bande démagnétisée des vieilles formes d’arcanes découvertes par l’usure. Plaît’ il à Platon ?

Beau, bien, je vous veux à la mie dépouillée de laideur transfigurée par une même humanité.

Comment faire pour que nous ne fassions qu’un chacun dans la mie de l’autre. Je ne savais plus rien. Ni les mathématiques ni la politique. Resté coi, quoi ? Moi, Araos maître séant de ce théâtre, je devenais branlant dans notre face à face choqué de l’autre.  Celui d’avant, d’ici, maintenant à partir de notre futur à venir.

Muette, elle parlait, parlait par des images avec deux petits chaussons qui tournaient, tournaient sans raison juste sur des sons. C’est faux. Ses faux pas ne vont pas loin. Ils vont partout et je me perds dedans. Le monde est trop grand tellement il est encore trop petit pour courir à la grandeur de sa faim vorace. Je l’entends. L’infidèle veut me fuir. Là-bas c’est trop loin quand c’est trop près. Je la connais. Toujours en fugue ! Une insaisissable. Elle me rend fou quand je suis à sa traîne ; elle s’envole me laissant derrière.  Elle est son mystère qu’elle ne sait résoudre. Émoi. Un mystère. Qui sait !

Elle me tuera avant que je ne meure sain et sauf d’elle. Casse-pied sur un pied du roi mal mesuré. Voilà. C’est elle ma mie et je dois composer avec sa démesure qui déborde du cadre de sa vie en pleurs sur des pelures d’oignons du temps qui tic et taquent comme un sans cœur au milieu du vide qui n’a rien à perdre. Ni temps ni espace. Je suis l’évadé d’une échappée belle, piqué d’espaces blancs ouverts à tout vent. Je suis le vire-vent greffé à sa tête pour faire tomber les voiles de ses yeux. Je la pousse, je souffle, j’inspire, elle expire mes mots sur des pages qui font des petits bateaux qui vont sur l’eau des ruisseaux où poussent des  enfants qui jouent dans l’eau.

Elle me tue, je l’aime. Elle vole mes notes  et s’empare de ma musique pour me fuir en rêvant ailleurs avec d’autres notes, des blanches, des noires, des croches et même des double croches. Qu’importe ! Je soupire sur ses silences bavards de son écho. Je l’entends. Je l’attends.  Ma mie me manque. Je veux plein d’elle qui me cherche en elle de vous. Mais elle n’est jamais là.

Quand je ne suis pas là, je cherche des mots d’ailleurs qui ne sont pas encore arrivés ici parce que l’amour les a oubliés ailleurs.

 

Marie Louve
Nouvelle parue chez Aganticus le 24 janvier 2015 (clic !).

Défi des Croqueurs n° 160 : un personnage sort du roman - L'évadé de Millefeuille, Marie Louve

Illustrations :

Tag(s) : #Fantaisie et sérieux chez Marie-Louve, #Jeux
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