« Pourquoi as-tu disposé les figurines comme ça ?
— Mais m’man, je n’ai même pas touché à la maison.
— Elles ne se sont pas déplacé toutes seules, quand même.
— J’te jure m’man, p’pa m’a fait dormir et je ne me suis réveillée que ce matin. »
Clara n’avait pas l’habitude de mentir. Serait-ce Andy qui aurait élaboré cette facétie de très mauvais goût ? Avant de redisposer les petits personnages, elle appela son mari.
« C’est toi qui as arrangé les figurines comme ça ?
— Oh p… ! Ben non, je n’ai pas touché à la maquette.
— Clara dit que ce n’est pas elle non plus.
— Si elle le dit, je la crois, je ne vois pas pourquoi elle mentirait, elle ne sait même pas la signification de cette scène.
— Allons en bas… Tu peux jouer avec ta maison, Clara.
— Je ne veux pas y toucher… Et j’ai pas goûté.
— Je t’appellerai quand ce sera prêt. »
Nadia entraîna son mari en bas.
« Soyons logiques Andy, si ce n’est toi, c’est donc Carla qui a fait… ça.
— Mais elle affirme qu’elle ne l’a pas fait.
— Et si elle était somnambule ?
— Très bien, supposons. Comment son âme innocente aurait-elle pu imaginer disposer les personnages comme tout à l’heure ?
— Tu vois d’autre explication ? On doit la faire examiner… Bon, je vais la chercher, son goûter est prêt. »
Après avoir goûté, Clara fit ses devoirs dans la cuisine, sous la surveillance bienveillante de sa mère. Andy était occupé dans son bureau. Là-haut, la Lune éclairait la chambre de la petite fille, ses rayons caressant la maison de poupée. Les petites lumières se mirent à clignoter, puis le piano se mit à jouer.
Dans le silence de la cuisine, Nadia qui avait une ouïe fine, perçut la musique aigrelette. Elle crut d’abord que cela venait du bureau d’Andy. Puis elle se concentra et constata que cela venait d’en haut. Intriguée, elle regarda Clara. Quelqu’un aurait-il offert une boîte à musique à sa fille ? Décidée à en avoir le cœur net, elle monta à la chambre de sa fille.
Elle fut immédiatement guidée vers la maquette. Ses cheveux se dressèrent : les petites ampoules clignotaient, la musique venait du petit piano. Elle hurla en criant le nom de son mari. Celui-ci, alarmé, monta quatre à quatre.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
— Regarde.
— Ben quoi, il y a peut-être un mauvais contact, c’est tout.
— Oui, peut-être, mais et le piano ? Il est mécanique, pas électrique.
— Je ne sais pas, moi. Il a peut-être reçu une secousse.
— Ah oui ? Alors regarde les figurines. »
Étrangement, les personnages avaient repris leur position précédente : Earl et Harriet dans la cuisine, Heather à la fenêtre et Gwen dehors.
« Et tu crois que c’est moi qui ai fait ça ?
— Non, non évidemment, tu étais occupé dans ton bureau. Quand Clara et moi étions descendues, les personnages étaient à la place convenable où je les ai remis.
— Tu en es sûre ?
— Puisque je te le dis !
— Attends, quand j’ai mis Clara au lit hier, elle m’a dit que la maison était vivante.
— N’importe quoi ! Les enfants sont très imaginatifs, à cet âge.
— Alors, quelle est ton explication ?
— Ben… Je n’en sais rien.
— Je t’avais dit que cette maquette n’était pas une bonne idée, on aurait dû acheter un…
— Arrête ! Ce qui est fait est fait. Clara finira par l’aimer, cette magnifique maison.
— Ça va. Je descends voir ce que fait Clara. »
Nadia s’agenouilla pour prendre les figurines coupables, quand elle suspendit sa main. Une scène se joua incongrument dans son esprit. C’était la semaine précédente, les Jones leur avait rendu visite. Elle se rappela qu’à un certain moment, Andy et Janet, éliminés du jeu en cours, étaient allés dans la cuisine préparer des sandwiches et des boissons. Elle ne se rappela pas combien de temps ils y avaient passé, elle était absorbée par le jeu, comme Brian. Quant aux filles, elles étaient allées jouer dans le jardin.
Une idée terrifiante lui vint alors à l’esprit. Est-ce que Clara avait vu quelque chose par la fenêtre de la cuisine ? Était-elle somnambule et avait-elle reproduit inconsciemment ce qu’elle avait vu ? Janet et son mari avaient-ils… Nadia secoua la tête, elle n’osait pas y croire. Et pourtant, un vague sentiment de jalousie diffus s’insinua comme une vermine rampante dans son âme.
Mais d’un autre côté, Clara était en bas, faisant ses devoirs. Comment aurait-elle pu toucher aux figurines ? Nadia se rendit compte du mystère. Insidieusement, une hypothèse farfelue lui frôla l’esprit. La sensibilité de Clara lui avait-elle fait sentir que cette petite maison était… vivante comme elle l’avait prétendu ? Est-ce que le fantôme de la défunte fille de madame Oakless hantait la maquette ? Non, c’était insensé. De toute façon, on ne va pas se débarrasser de cette si charmante maison de poupée.
Cependant, son esprit n’était pas tranquille, elle ne pouvait se débarrasser d’une trace de soupçon. Alors qu’elle mettait sa fille au lit, elle l’interrogea.
« Tu te rappelles quand les Jones sont venus samedi dernier ?
— Oui m’man.
— Selma et toi êtes allées jouer dans le jardin, n’est-ce pas ?
— Ben oui. Mais on n’a pas fait de bêtise.
— Je sais, rassure-toi. Tu as regardé par la fenêtre de la cuisine ?
— Euh… »
Nadia ressentit un désagréable frisson. Cette hésitation réticente équivalait à un aveu.
« Je ne vais pas te gronder, ma chérie. Dis-moi ce que tu as vu.
— La maman de Selma était assise sur la table de la cuisine, et p’pa se balançait contre elle.
— C’était comme les figurines dans la cuisine de la maison de poupée, n’est-ce pas ?
— Oh oui ! Mais les poupées ne bougeaient pas.
— C’est bon, ma chérie. Reste là. »
Nadia descendit et se rua dans le bureau d’Andy. Elle ferma la porte, elle ne voulait pas que Clara entendît leur scène.
« Espèce de salaud, ainsi tu t’envoyais en l’air avec Janet !
— Quoi ? Mais qu’est-ce qui te prend ?
— N’essaie pas de nier, Clara vous a vu par la fenêtre de la cuisine. »
Andy fut comme foudroyé. Ainsi, la figurine à la fenêtre de la maquette avait du sens. Clara disait vrai, la maison de poupée était comme vivante, elle avait représenté avec une précision diabolique la réalité. Il se mit à haïr cette satanée maquette.
« D’accord, j’avoue. J’aurais dû repousser l’avance de Janet, nous avons été pris d’un moment de folie, sûrement à cause du whisky. Je te demande pardon.
— Et tu penses t’en tirer facilement comme ça ? Ça dure depuis combien de temps ?
— Mais écoute Nadia, c’était la première et la dernière fois, je te jure sur la tête de Clara.
— Tu me dégoûtes. Va-t’en, sors de cette maison.
— Nadia, j’ai trébuché, je le reconnais. Mais je t’aime. Pense à Clara.
— Laisse-moi tranquille… Va-t’en… J’ai besoin de réfléchir. »
La petite fille ne vit pas le départ de son père accablé. Nadia lui expliqua qu’il était parti brusquement en mission. Elle regarda avec rancune la maison de poupée maléfique. Maléfique ? La maquette, peut-être animée par l’esprit de la fille de madame Oakless dans une louable intention de révéler la vérité, l’avait dessillé. Mais était-ce un bien ? La petite Oakless avait peut-être été confrontée à la même situation qu’eux. Nadia avait le cœur brisé, son esprit était tourmenté. Aurait-elle voulu ne rien savoir ? Andy avait dit qu’il avait succombé à un moment de folie qui ne se renouvellerait pas ; mais était-il digne de confiance ?
Nadia mit en vente la maison de poupée. Elle avait enfin pris conscience qu’elle avait voulu attribuer à Clara son propre rêve de petite fille. Elle allait lui acheter son chiot. Quant à Andy, elle se donna quelques jours de réflexion, elle verrait alors si elle allait lui pardonner… ou non.
Fin
RAHAЯ