— Ahaa ! Mais que nous gardez-vous en réserve, vous deux ?
— Mariano est un écologiste capitaine, s’empressa d’expliquer Luis. Et puis, ça ne fait pas de boucan… Eh les gars, préparez-vous à les réceptionner.
— Attention, prévint Padek, ne bousillez surtout pas le bidule. »
Le petit singe ivre tomba dans les bras de Luis ; l’appareil que l’animal avait lâché fut rattrapé par Télé, qui le tendit à Padek. Mariano prit la petite bête et grimpa à l’arbre pour le mettre dans un creux, le singe se réveillerait dans quelques minutes, ne sachant pas vraiment ce qui lui était arrivé.
L’enregistreur n’avait plus sa caméra et son câble. Comme son écran était trop petit, Padek brancha l’appareil sur sa tablette, et la troupe se rassembla autour de lui pour voir. La puce mémoire de grande capacité avait enregistré tout le trajet effectué par la deuxième mission. Le capitaine fit avancer rapidement la vidéo. La société SOYACORP ne perdait pas une miette, par le biais de la caméra du sergent Télé, mais les dirigeants lui demandèrent de leur transmettre le contenu de la mémoire. Padek ramena la vitesse à la normale quand il remarqua une séquence insolite. Tous s’exclamèrent de surprise et d’horreur. La vidéo montrait une chaussure… mais il y avait un pied dedans. Le reste de la vidéo était flou, comme si le porteur de la caméra courait à perdre haleine.
« Yo man ! Qu’est-ce que c’est que cette merde ?
— Mais qui a pu faire ça, capitaine ? Un jaguar ? Un puma ?
— C’est impossible, intervint Mariano, aucun de ces félins n’a la puissance pour broyer les os de la jambe. Percer un crâne, briser des côtes, d’accord, mais pas… ça.
— Alors, une bagarre ? Ils sont devenus fous et se sont massacrés ?
— Crétin, ils n’avaient même pas une machette.
— Ah, pardon mec, comment penses-tu qu’ils ont fait pour se frayer un chemin ? Avec un coupe-ongle peut-être ?
— Euh… Le type est peut-être tombé d’un arbre…
— Mais t’es con ou quoi ! Il se serait peut-être fracturé la jambe, mais elle ne se serait pas détachée, les muscles et les tendons ne sont tout de même pas en guimauve.
— Vos gueules ! Quoi que ce soit, nous devons être prêts, vérifiez bien vos armes et je veux qu’on regarde de tous côtés… André, tu fermeras la garde et tu gardes un œil derrière… Télé, transmets le contenu de la mémoire à la compagnie… Nous allons atteindre la limite sud de la concession. »
Les dirigeants de l’entreprise étaient vissés devant les écrans qui retransmettaient les images de la caméra du sergent Télé. Ils assistaient à la progression du groupe, confortablement installés dans leur fauteuil. Après un quart d’heure de marche, les sept hommes virent des traces sanglantes allant dans toutes les directions. Puis ils virent une montre par terre, ensuite des lunettes écrabouillées. Le sergent Bruce confia qu’il se sentait épié. Le sergent Mariano affirma qu’il avait entendu des bruits suspects. Un directeur fit augmenter le volume du son.
On entendit un cri comme celui d’une oie. Puis tout se précipita. On entendit des rafales, des cris et des jurons, c’était une cacophonie insoutenable. L’image fut floue, le sergent Télé bougeant trop vite. On l’entendait crier, saturant le micro de sa caméra.
« Seigneur ! Qu’est-ce que c’est que ces bestioles ? Il en vient de partout… Nous allons succomber sous le nombre… »
On vit alors des formes floues, Télé se démenant comme un diable. À un certain moment, l’image se stabilisa, et on aperçut une silhouette un peu moins trouble, puis l’image bascula et devint noir et on n’entendit plus que quelques cris et quelques coups de feu. Les dirigeants s’étaient bien sûr redressés, certains s’étaient même levés, effarés. Le commando d’intervention venait d’être anéanti.
Les dirigeants parlaient en même temps, et pendant un moment, ce fut le charivari. Un administrateur finit par faire appeler un zoologue. Il fallait identifier les terrifiantes bêtes. C’étaient des sortes de reptiles bipèdes, d’environ six pieds de haut, assez différents des iguanes.
Un zoologue arriva et examina l’image un peu floue. Il plissa d’abord les yeux, secoua la tête, et balbutia.
« C’est Dieu pas possible !
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
— Je crois que vous ferez mieux d’appeler un paléontologue.
— Pourquoi donc un paléontologue ?
— Ben je pense que ces trucs-là sont des vélociraptors.
— Quoi, vous êtes fou ? Des dinosaures ? Vous délirez complètement.
— C’est pourquoi je vous dis d’appeler un paléontologue pour confirmer. »
Le spécialiste mandé n’en fut pas moins ahuri. Des bêtes du passé ici ? Incroyable !
« Ce sont indubitablement des vélociraptors. Se pourrait-il qu’un taré quelconque a créé un vrai Jurassik Park ?
— C’est impossible, affirma le zoologue qui était également généticien, d’ailleurs, le film était de la pure fiction. Le sang qu’on pourrait trouver dans un moustique inclus dans de l’ambre serait déjà prédigéré, et l’ADN serait irrémédiablement morcelé. Même si tous les morceaux étaient complets, on ne saurait pas comment les assembler. À la limite, on pourrait récupérer de l’ADN intact d’un mammouth pris dans la glace de l’Arctique.
— Mais alors, demanda un dirigeant, d’où viennent ces bêtes-là ? Si je ne m’abuse, les dinosaures ont été exterminés il y a 65 millions d’années.
— Il y a peut-être une explication, avança l’anthropologue, des rescapés auraient pu trouver quelques refuges. Pensez au monstre du Loch Ness, peut-être un plésiosaure… et il y en a aussi au Canada, et en Afrique, et probablement ailleurs. Nos… vélociraptors ont peut-être trouvé un refuge ici, à l’évidence au sud-est de notre concession dans laquelle ils font des excursions. Et voilà pourquoi les Jabirus n’osent pas chasser dans cette zone, même limitrophe.
— Bon, nous allons étouffer l’affaire, décida le PDG, on cherchera une autre concession.
— Mais monsieur, c’est une occasion inespérée pour la science.
— Écoutez bien, monsieur le paléontologue, nous avons envoyé cinq hommes de valeur… et deux commandos du gouvernement. Ils ne s’en sont pas sortis. Je crois que le film Jurassik Park montre avec assez d’exactitude leur caractère, peut-être pas réellement intelligent, mais indubitablement rusé et dangereux. Nous ignorons même leur nombre. Si l’on excitait leur curiosité, ils risqueraient de sortir de leur territoire, et je doute fort que l’Armée pourrait en venir à bout, ils sèmeraient la terreur, car on ne sera pas sûr de tous les anéantir, des rescapés pourraient reconstituer leur espèce ailleurs, ce qui constituerait un danger potentiel. Laissons-les donc tranquilles pour le moment. D’ailleurs, s’ils ne se sont pas répandus jusqu’ici, quelque chose limite probablement leur effectif, et je n’ose imaginer la nature de ce quelque chose. La curiosité des savants pourrait le faire sortir de sa zone. Il faut maintenir l’équilibre. Donc, on va trouver une concession ailleurs. »
Fin
RAHAЯ