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Paul Emmick ouvrit les yeux. La première chose qu’il vit, c’étaient des planches à quatre-vingts centimètres au-dessus de lui. Il rassembla ses idées. Il tourna la tête à gauche, puis à droite. Il était dans un vaste dortoir vide, dans un lit superposé. Il se rendit compte que sa respiration était un peu plus rapide que d’habitude. Ses poumons habitués à la pollution s’emplissaient d’un air léger et pur, un rien chiche ; c’était comme s’il avait été transporté à trois milles mètres d’altitude. Paul se rappela un séjour à Cuzco. Il se redressa sur ses coudes. Il était toujours vêtu de son sweat-shirt bleu et de son jean délavé, on n’avait pas enlevé ses chaussettes marron trouées au niveau des gros orteils. Il constata avec une désagréable surprise un bracelet de surveillance GPS à sa cheville gauche. Il vit par terre ses mocassins fatigués.

Paul essaya de rassembler ses souvenirs. Il venait de sortir de son bureau pour aller déjeuner dans l’une des nombreuses gargotes du quartier. N’ayant plus de crédit, il entra dans une cabine téléphonique pour prendre des nouvelles de sa mère qui était hospitalisée. Il venait de décrocher, quand une chape de plomb s’était abattue sur lui. Et puis, il s’était réveillé ici.

NEVADA ? - http://fr.dreamstime.com/photographie-stock-libre-de-droits-abandonnez-le-d%C3%A9sert-de-l%C3%A9zard-%C3%A0-cornes-nevada-etats-unis-image19728507

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Une voix issue de quelque haut-parleur s’adressa à lui : « Veuillez prendre la porte à votre droite ». Paul vit les caméras au-dessus des portes opposées. Il se leva et enfila ses mocassins. Il voulait savoir pourquoi on l’avait enlevé. Il n’était, pour le moment, qu’un petit comptable dans une petite entreprise familiale, il ne se connaissait pas d’ennemi, sa constitution fragile l’obligeait à se tenir à l’écart de tout conflit physique, et apparemment personne ne se doutait de ses réelles compétences. En marchant, il se sentit étrangement léger, mais paradoxalement, il semblait s’essouffler vite ; aurait-il en plus été drogué, et le phénomène en était-il une séquelle ?

La porte ouvrait sur une petite salle quasi vide, à part un bureau où était assis un homme en uniforme, apparemment militaire. Il arborait des galons de sergent. Paul se dit qu’on l’aurait enrôlé de force dans l’armée. Le militaire parla d’une voix désabusée.

« Paul Emmick, né le premier Avril 1990 à l’hôpital Ste Grâce, de père inconnu. Éducation primaire et secondaire dans la norme, études universitaires interrompues. Réformé pour insuffisance staturale… Hum, plongeur dans un fastfood, serveur dans un restaurant coréen, grouillot dans un petit journal, comptable dans une PME. A logé dans un… euh petit studio…

— Dites sergent, où est-ce qu’on est, et pourquoi m’avez-vous enlevé ? Et pourquoi ce bracelet GPS ? Suis-je emprisonné ? Et pourquoi ?

— Vous n’avez rien à savoir. Vous allez exécuter sagement tout ce que l’on vous dira.

— Je ne suis pas un militaire. Et si je refuse ? Vous allez me fusiller ?

— C’est simple, vous n’aurez ni nourriture, ni boisson.

— Et si je m’évade ? »

MONGOLIE ? - http://fr.dreamstime.com/photo-libre-de-droits-prairie-mongolie-inter-de-porcelaine-de-bashang-image6654885

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Le type eut un ricanement de mauvais augure.

« Vous n’irez pas bien loin et vous reviendrez de vous-même. Le GPS ne sert que dans l’enceinte, pour prévenir toute incursion dans un autre endroit que le secteur auquel vous serez assigné.

— Ah, il y a donc plusieurs secteurs.

— Vous allez sortir par là, prendre la première à gauche, tourner à droite et prendre la porte au bout du couloir. Pas de fantaisie, le GPS vous rappellerait désagréablement à l’ordre.

— Ah oui ? Il va me gronder ?

— Petit rigolo va. Il vous gratifierait d’une décharge électrique. Allez, exécution ! »

Paul dédaigna expérimenter l’électrochoc du bracelet GPS en suivant scrupuleusement les instructions. La docilité apparente de Paul cachait un esprit retors. Généralement, il observait, digérait et attendait patiemment son heure. Il savait se maîtriser et éviter toute émotion, toute agitation vaine, improductive, pour saisir la première occasion favorable. C’était un sous-produit de ses compétences ignorées.

Il constata ainsi que le bâtiment semblait énorme. Il entra dans une autre salle encombrée de machines comme un centre de contrôle de la NASA, bourdonnant d’activité. Il fut rapidement pris en charge par un autre troufion qui lui remit une carte insolite. Un itinéraire y était tracé, comme la solution d’un labyrinthe dont le reste avait été effacé.

« Suivez scrupuleusement l’itinéraire. Dans une semaine, vous aurez une autre carte.

— Et si je me trompais ?

— Je vous le déconseille… Mais votre GPS vous corrigera.

— Oui je sais : électrochoc. »

Le premier travail de Paul était donc un boulot de maçon. Il devait contribuer à l’édification de bâtiments, apparemment à destination de logement. Le plus curieux était qu’ils étaient dans une caverne tellement immense que Paul avait du mal à distinguer le plafond. Et pourtant, l’éclairage venait de ce plafond. Intrigué, il questionna un gars qui le dirigea vers un homme âgé. Celui-ci lui révéla que le plafond avait été troué et que des plaques de matière synthétique transparente y avaient été placées. Il avait bien questionné ses compagnons d’infortune sur le lieu de leur détention, mais personne n’avait pu lui donner de réponse satisfaisante. Certains pensaient qu’ils étaient en plein désert du Nevada, pourtant la température était plutôt fraiche, surtout le soir ; d’autres optaient pour la Mongolie, mais ce n’étaient que des suppositions.

Personne ne connaissait l’effectif réel de la main-d’œuvre. Dans ce secteur, Paul estima le nombre des ouvriers à une centaine. Personne ne sut non plus à qui étaient destinés ces logements luxueux pouvant accueillir des dizaines de familles.

La semaine suivante, Paul reçut une autre carte. Il était affecté au secteur agriculture. Il devait donc sortir du bâtiment. Sur le seuil, sa mâchoire se décrocha. Ce qui le frappa au premier abord, fut le haut mur d’enceinte, pas loin de la quinzaine de mètres, à vue de nez. Ensuite, le ciel d’un bleu violacé absolument irréel et un soleil petit, mais alors là, petit ! Mais qu’est-ce que c’était que ce bordel ? Où était-on réellement ? Ou bien les prisonniers étaient-ils drogués ?

Un choc électrique le rappela à l’ordre et il dut s’ébranler. La zone de culture était en-dehors de l’enceinte. Il vit plusieurs dizaines d’immenses serres. D’autres hommes et femmes étaient sortis à sa suite, et ils se dirigèrent vers leur lieu d’assignation. On y cultivait toute sorte de légume et de fruit. Paul y vit même des plantes qu’il ne connaissait pas, ce qui l’intrigua. En bavardant avec ses compagnons, surtout ceux qui étaient là depuis un certain temps, Paul sut qu’il existait des unités de culture de levure, destinée à la production de viande artificielle. En ce lieu, on ne faisait pas d’élevage, mais une expérimentation de pisciculture depuis quelques années. On lui dit qu’il y avait aussi des poissons inconnus.

Quand Paul aborda la question d’évasion, on lui rit au nez. Tous ceux qui avaient tenté de s’échapper étaient revenus, les rares individus que les soldats avaient cherchés et ramenés, étaient morts… de déshydratation. Non, ils n’avaient même pas été punis, ils avaient sagement repris leur travail. Et non, personne ne semblait avoir été drogué : des malades avaient pu, par curiosité, consulter le résultat de leur analyse sanguin, et rien ne sortait de la norme.

Paul s’évada. Le bracelet GPS ne daigna pas lui décharger la moindre étincelle… à moins qu’il ne fonctionnât pas en-dehors de la zone. Ce n’était pas de la forfanterie, il ne mettait pas en doute les dires de ses compagnons d’infortune. Il voulait accumuler autant de données possibles pour étayer son hypothèse, hypothèse à première vue tirée par les cheveux, mais passablement effrayante.

Tout en marchant et en respirant la bouche ouverte, Paul examinait le terrain. L’horizon était étonnamment proche, mais il s’en doutait déjà. Le sol avait une teinte ocre, les cailloux et les pierres qu’il voyait, étaient dans tous les tons du bleu métallique, allant jusqu’au gris. Il en prit une et la soupesa ; elle était lourde. Il alla aussi loin qu’il pouvait, gravissant avec peine les collines. Il haletait. Pourtant, il avait l’intuition qu’il n’était qu’à quelques dizaines de mètres du niveau d’une mer hypothétique. Il escalada laborieusement une éminence et reprit son souffle au sommet. Il eut une vue panoramique : au loin, il distingua ce qui semblait être de la végétation, une sorte de forêt clairsemée, et un cours d’eau relativement important, compte tenu de la distance. Mais il était sûr qu’il ne l’atteindrait pas en trois jours, pas dans les conditions de ce milieu. Du coin de l’œil, il décela un mouvement. C’était un reptile, une sorte de gros lézard. Puis il vit quelques sauterelles s’abattre sur l’animal. Non, ce n’en étaient pas : les vrais sauterelles ne sont pas carnivores… ni apparemment pas venimeuses, au vu du lézard qui se débattait et finissait pas s’immobiliser.

Paul avait assez de données et revint sur ses pas. C’était en titubant qu’il rentra, sous les quolibets des soldats. On ne lui fit rien, on estima que ce qu’il avait enduré était une punition suffisante, mais il n’obtint ni nourriture, ni boisson outre que sa ration ordinaire.

Il exposa sa conclusion devant ses compagnons incrédules. Ils étaient sur Mars.

 

A suivre

 

RAHAЯ

MARS ! - http://fr.dreamstime.com/images-libres-de-droits-surface-terrestre-de-mars-image20959089

MARS ! - http://fr.dreamstime.com/images-libres-de-droits-surface-terrestre-de-mars-image20959089

Tag(s) : #Les nouvelles de Rahar
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