http://www.rtl.fr/actu/sciences-environnement/une-veste-pour-aveugle-qui-vibre-a-l-approche-d-un-obstacle-7772152100
Depuis son arrivée sur Terre, le petit Jarvis — il devait répondre désormais à ce nom — observait. Il s’intéressait à tout : la société, la politique, la technologie… Il voulait avoir une idée précise des Terriens. C’était d’ailleurs ce que lui avait recommandé sa défunte mère.
À sa naissance, Jarvis avait déjà l’aspect d’un humain, grâce aux manipulations génétiques des savants de son peuple. Toutefois, la structure de son cerveau était celle de sa race. Il reçut donc l’éducation standard, qu’un Terrien qualifierait d’accélérée. Pendant les cinq dernières années où sa mère et lui étaient les seuls survivants, ils avaient eu à leur disposition tous les appareils qui marchaient encore, et à douze ans, Jarvis avait la mentalité d’un Terrien adulte. Maintenant, une partie de sa conscience devait être constamment vigilant à le dissimuler, et l’autre partie avait pour tâche d’adopter le comportement d’un enfant normal.
Le garçon était atterré, les Terriens étaient déroutants et… effrayants. La multiplicité des races n’était pas un problème en soi, mais leur mentalité en en faisait un. Beaucoup de gens étaient foncièrement égoïstes en la conjoncture actuelle, avec toutefois des pointes paradoxales d’altruisme. Une minorité particulièrement avide avait justement créé cette conjoncture, entraînant un besoin du superflu de la majorité par désir de mimétisme. Cette faim de profit à tout prix avait généré des guerres et des conflits sciemment provoqués, ainsi que le grand banditisme. Seule une minorité de nations terriennes appliquait la notion de politique dans son sens originel.
Cette civilisation avait été bâtie sur l’exploitation des hydrocarbures. Les Terriens n’avaient pas vu, et/ou avaient sciemment ignoré les dangers qu’entraînerait l’utilisation de cette substance. La pollution directe et celle indirecte par sa combustion, modifiant l’environnement, les conflits qui découlaient du désir de sa possession, tout cela rendait cette civilisation pitoyable. Pourtant, cette planète était si belle, elle pouvait devenir un havre de bonheur. Jarvis était conscient que seul, il ne pouvait modifier le destin de la Terre.
Les parents adoptifs de Jarvis étaient de la classe moyenne. À ses seize ans, le garçon était confronté à un dilemme ; sa défunte mère lui avait recommandé de se fondre dans la moyenne, mais pour vivre décemment et avoir en plus les moyens de réaliser sa mission, faire revivre la civilisation de ses origines, il devait posséder des diplômes prestigieuses ; les possibilités de ses « parents » ne lui permettaient cependant d’entrer que dans un établissement mineur. Il devait impérativement décrocher une bourse pour pouvoir entrer dans une université de valeur, ce qui impliquait pour lui le débridage de son intelligence.
Jarvis recourut alors à un stratagème. Il fit tous les calculs nécessaires, la projection statistique des probabilités, l’intégration de ses paramètres physiologiques et la détermination de l’élément-clef pour forcer les évènements. Sur la route du lycée, il avait remarqué un aveugle qui venait à sa rencontre à la même heure ; il longeait la terrasse d’un café, frôlant une des tables avec le pardessus au bras. À cette table était toujours assise une femme, apparemment une cadre, qui prenait un café chaud tout en lisant son journal financier, avant de rejoindre son bureau. Une Volvo noire, réglée comme une horloge, passait en même temps.
Quelques secondes avant sa rencontre avec l’aveugle, Jarvis déplaça en passant le café au bord de la table, puis s’éloigna, calculant le temps nécessaire pour revenir d’un pas pressé. L’aveugle frôla la table, son pardessus fit tomber le café et l’homme fit précipitamment un écart. Pour l’éviter, Jarvis dut descendre du trottoir. La Volvo noire le bouscula et le fit tomber à terre, le laissant évanoui.
À l’hôpital, on lui diagnostiqua une commotion cérébrale. Il reçut la visite de ses amis et de ses condisciples, mais il fut rapidement remis sur pied. À partir de ce moment, Jarvis parut sortir du lot, ses performances s’accrurent, surtout dans les disciplines des sciences dures. Le médecin avança l’explication que le traumatisme crânien qu’avait subi le garçon avait en quelque sorte bénéfiquement modifié les circuits neuronaux de Jarvis, le rendant plus intelligent. Personne ne fut donc étonné outre mesure des progrès prodigieux du garçon. Deux ans plus tard, il obtint sa bourse pour une université renommée.
A suivre
RAHAЯ