Merci beaucoup, Rahar, pour ce titre clin d'oeil et ce conte entre la science-fiction et le fantastique ! C'est un drame, comme une tragédie antique au fond, mais qui se termine par une belle note d'espoir. On lui souhaite longue vie à ce Petit Poucet Coucou, qui a le temps de grandir avant d'accomplir sa grave et utile mission ...
Note de Lenaïg
Est-ce le glisseur accidenté qu'on distingue, dont les feux ne sont pas encore tous éteints ? - http://www.hebus.com/wallpapers/fantasy-science-fiction/paysages-futuristes/gal1861-page1.html
« Maman, j’ai peur.
— Il ne faut pas, mon enfant. Il faut que tu sois fort, tu dois être courageux.
— Je voudrais bien maman, mais j’ai quand même peur. S’il te plaît maman, ne me quitte pas.
— Écoute bien mon cœur, l’effort que je viens de faire m’a épuisée, mais tu es l’espoir de notre peuple, je te l’ai déjà expliqué. Je comprends que tu aies peur, mais nous t’avons doté de toutes les qualités qui te permettront de survivre.
— Mais ce sont de méchants sauvages, maman.
— Non, simplement des primitifs ; comme tels, il y en a de bons et généreux, et des mauvais et vicieux. Tu es beaucoup plus intelligent qu’eux, mais tu dois t’adapter, leur dissimuler ton intelligence, rester dans la moyenne.
— Je ne sais pas si j’y arriverai, maman.
— Aie confiance mon enfant, tu y arriveras. Et n’oublie jamais que même si je pars, mon esprit sera toujours auprès de toi. Tu es peut-être le dernier, mais sache que tout notre peuple vit en toi.
— Ne penses-tu pas que je suis trop jeune pour une telle responsabilité, maman ?
— Nous avons tout étudié, les « rêveurs » ont examiné la trame temporelle du futur, et le point critique est sur le point de survenir. Tu as été préparé pour ça. D’ailleurs, tel que tu es, tu pourras t’intégrer plus facilement.
— Mais devions-nous passer par cette tragédie ?
— Rassure-toi mon petit, ce n’est pas nous qui avons provoqué l’accident, c’était déjà inscrit sur la ligne du destin. C’est malheureux, mais nous ne faisons qu’en profiter. Maintenant, tu dois y aller.
— Je ne veux pas te quitter, maman.
— Sois raisonnable mon enfant, je ne tiens pas à ce que tu assistes à mon départ. Et n’oublie pas, le cristal qui est implanté en toi renferme tout notre savoir. Quand tu seras grand, il te sera accessible. Tu pourras le partager avec eux quand ils seront prêts, en mémoire de notre peuple.
— Mais s’ils ne sont pas prêts, ils pourraient s’autodétruire avec certaines de nos connaissances.
— Dans ce cas, lègue le cristal à tes enfants, à tes petits-enfants, voire à tes arrière-petits-enfants, jusqu’à ce que le moment soit propice. Tes gènes sont dominants. Je m’en remets à ta sagesse. Maintenant va, je ne veux pas que tu assistes à mon grand départ, selon nos coutumes.
— Mais il n’y a plus de grande personne pour t’assister, maman.
— Je sais, nous sommes les seuls survivants… enfin, tu seras le dernier… Au fait, tes blessures ne te font pas trop mal ?
— Si, un peu, mais tu as dit que c’est indispensable.
— C’est vrai, on a tout planifié pour que tu puisses t’en sortir sans anicroche. Pour la mémoire de notre peuple. Va maintenant, adieu mon enfant. »
*
Le glisseur-ambulance était arrivé sur le lieu de l’accident, peu après les policiers de la route. Un glisseur de tourisme s’était crashé, suite à une panne de stabilisateur. Plus tard, l’enquête avait trouvé que c’était l’atmosphère particulière de la planète qui avait corrodé insidieusement des pièces délicates. Il n’y avait que trois rescapés : une femme évanouie et indemne, un homme évanoui aussi et blessé, et un petit garçon de douze ans apparemment blessé et en pleurs.
À leur sortie de l’hôpital, après avoir reçu les soins appropriés, la femme avait enfin pu faire le deuil de son mari, l’homme celui de sa femme et de son fils, et l’enfant celui de ses parents. L’oncle et la tante du garçon étaient venus le recueillir. Sans enfant, ils l’avaient adopté comme leur fils. Ils l’avaient alors ramené sur Terre, loin de cette planète où le garçon avait vu ses parents mourir.
Les enquêteurs étaient confrontés à une énigme. Ils avaient trouvé trois séries de traces de pas dont deux venant du bush. La première semblait avoir été faite par une créature bipède laissant des empreintes rondes. Cette créature avait peut-être été attirée par la curiosité. La deuxième série était plus profonde et suggérait nettement que la créature était chargée, elle avait apparemment pris quelque chose de lourd sur le lieu de l’accident. La faune de la planète était loin d’avoir été répertoriée, tout ce qu’on savait était qu’il n’y avait pas, ou plus, d’être intelligent doué de conscience. Toutefois, selon le manifeste trouvé intact, rien ne semblait avoir été emporté, le nombre et le poids des bagages avaient été soigneusement consignés.
La dernière série de traces était la plus étrange. C’étaient des empreintes ovales qui évoquaient irrésistiblement des traces de chaussures, ce qui était évidemment absurde, et l’esprit des enquêteurs avait rejeté automatiquement l’hypothèse insensée avec dégoût. Le comble était que d’après leur aspect, les empreintes suggéraient qu’elles venaient du bush et ne partaient pas du lieu de l’accident. Devant ce mystère, les enquêteurs avaient décidé de suivre les traces jusqu’à leur origine, dans le bush.
Un sol dur avait succédé à la terre meuble, mais en poursuivant dans le prolongement des traces, ils avaient abouti à une caverne, au fond de laquelle un tunnel descendait dans les entrailles de la planète. Les enquêteurs virent de multiples empreintes qui s’entrecroisaient et un tas de cendres grises. Ils virent aussi, adossé au mur de la caverne, un étrange bloc de cristal à la forme insolite : un esprit tordu y aurait vu une silhouette humanoïde, mais c’était bien sûr une facétie de la nature qui en est parfois prodigue. Des créatures bipèdes, certainement semi-intelligentes et encore inconnues comme le Bigfoot sur Terre, devaient être passées par là.
Les enquêteurs, dégoûtés par l’énigme, et ne voulant pas compliquer leur rapport, ignorèrent ces faits perturbants dans leur compte rendu. D’ailleurs, c’était tout à fait étranger à la cause de l’accident.
Des archéologues découvrirent d’anciennes cités enterrées sous le sable. Il avait existé sur cette planète une civilisation très avancée. Son déclin avait été lent, mais inéluctable. La cause en avait été essentiellement climatique, due à un changement de la nature de l’étoile.
Les autochtones étaient, d’après des bas-reliefs et des sculptures, des êtres translucides. Leur rite funéraire avait montré que le corps se cristallisait lors du décès et devenait un bloc de cristal. Des cryptologues ayant réussi à déchiffrer certains documents, avaient démontré leur avancée inimaginable dans le domaine biologique et particulièrement la manipulation de l’ADN. Ces êtres extraordinaires savaient transformer une créature en une autre. Si on pouvait connaître leur secret, la science pourrait réaliser des prodiges. Il était vraiment dommage que cette civilisation se fut éteinte.
Sur Terre, le petit garçon « rescapé » vivait la vie d’un petit garçon normal, se fondant dans la foule des enfants moyens. Aucune visite médicale n’avait permis de déceler l’étrange petit cristal intégré dans l’apophyse de son fémur, attendant son heure.
RAHAЯ