Non, ce ne sont pas Nestor Burma ni son associée Hélène que nous allons voir, mais leurs homologues tout aussi pittoresques et brillants, qui nous sont déjà familiers : Kwan Lock et Ninie, de l'agence Kwan Lock Investigations, dont c'est le retour !
Note de Lenaïg
Patron, une cliente pour vous. Une très belle dame.
— Qui est-ce, Ninie ?
— C’est la femme… ou plutôt la veuve d’Oscar Paggon.
— Quoi, le roi du similicuir ?... Ah oui, c’est vrai, il vient de passer l’arme à droite.
— À gauche patron, on dit « à gauche ».
— Si tu veux, Ninie… Bon, qu’est-ce qu’elle veut ?
— N’en sais rien, elle ne veut parler qu’à vous… Mais elle pèse bien ses milliards.
— Très bien, fais-la entrer.
Gina Paggon n’affiche pas sa cinquantaine. Je suppose que c’est normal, avec la fortune dont elle dispose. Elle est belle, dans son genre. Un tailleur noir, de Cardin peut-être, un sac sûrement griffé Gucci, d’audacieuses chaussures signés Paggon, tout cela concourt à un luxe discret, que dément peut-être le pendentif au diamant noir, fort probablement sorti des mains de Yomagushi, et le solitaire faussement modeste à son doigt.
Elle n’a pas l’attitude hautaine de ces péronnelles cousues d’or qui ont eu recours à mon agence, et Dieu sait combien ont été acculées pour me consulter. La veuve Paggon affiche un sourire timide, mais sincère, comme celui qu’elle décernerait à son médecin personnel. Je suis un peu perplexe. Je ne pense pas à une histoire d’adultère ou de succession douteuse : Oscar Paggon vient de mourir d’une crise cardiaque, selon les journaux ; le chef de la police qui comptait parmi ses amis, ne s’est pas manifesté, d’une façon ou d’une autre.
— Qu’est-ce que Kwan Lock Investigations peut bien faire pour vous, madame Paggon ?
— Comme vous devez le savoir, mon mari est mort, censément d’une crise cardiaque.
— Vous avez dit « censément », pourtant le médecin qui a délivré le certificat de décès ne doit pas être un charlatan.
— Non non, il a bien fait son travail… quoiqu’il ait été surpris de l’attaque. Oscar avait à peine la soixantaine.
— Vous savez madame, une crise cardiaque peut être tout à fait imprévisible, surtout à cet âge.
— Mais Oscar était en excellente forme, il prenait soin de sa santé. Une attaque naturelle était très peu probable.
— Très bien, que voulez-vous de moi ?
— Je veux que vous cherchiez l’assassin de mon mari.
— Bien, bien. Vous voulez des preuves, évidemment.
— Ce n’est pas indispensable, je me contenterai d’une simple certitude.
Je dévisage ma cliente. Elle a dû vraiment aimer son mari pour ne pas se contenter de profiter tout simplement de son fabuleux héritage. Je soupçonne fortement qu’elle pourrait se faire justice en ne s’embarrassant pas des voies légales, le cas échéant.
— Et que disent vos enfants ?
— Oh, ils ne me croient pas, ils pensent que je fabule, que le chagrin m’égare.
— Bon, confiez-moi vos soupçons.
— La semaine dernière, Mortimer Dallor, des Maroquineries Dallor, est venu relancer Oscar sur une association. Du moins, c’est ce que j’ai compris, je ne suis pas très au fait des affaires de mon mari. Oscar a encore refusé et je les ai entendus élever la voix. Tout ce que j’ai saisi, c’est que Mortimer a proféré une malédiction, qu’il va lui jeter un sort.
— Ah, et vous croyez que c’est son sort qui a tué votre mari ?
— Mais c’est l’évidence même. Il y a un mois, Oscar a fait un bilan de santé et le médecin a été très satisfait. Je ne sais pas comment il a fait, mais je suis à peu près sûre que c’est lui… S’il vous plaît monsieur Kwan, aidez-moi à faire justice.
— Pourquoi ne pas consulter un medium ?
— Il y a trop de charlatans. Je ne veux pas risquer de me faire traire comme une vache à lait.
— Bon, je vais faire de mon mieux madame, je vous tiendrai au courant.
Eh bien, je me demande bien dans quelle galère je vais m’embarquer. Ce ne sont pas ses yeux de biche, ni sa détresse évidente qui m’ont décidé, évidemment, ma culture orientale me permet de maîtriser mes sentiments et mes émotions. J’ai vu assez de trucs bizarres dans ma courte vie pour négliger la croyance de ma cliente en un quelconque sort. Mais ce qui m’a vraiment décidé, c’est la question du bilan.
— Alors mon cher Lock, qu’est-ce que c’est que cette histoire de malédiction ? Tu crois qu’elle est fêlée du carafon la belle dame ?
— Pas de précipitation, Ninie. Il faut d’abord vérifier le bilan de Paggon.
Oscar Paggon avait débuté dans la pelleterie. Il avait déjà amassé quelques millions, quand la pression de PETA avait été trop forte. Il s’était rapidement reconverti dans le similicuir. S’étant adjoint des stylistes de génie, il avait accru rapidement sa fortune. Sa simplicité avait séduit Gina sa femme, laquelle ne voulait rien savoir de la face de requin de sa vie professionnelle. Seule sa fille aînée avait été intéressée par son éventuelle succession.
J’ai pu obtenir un entretien avec le docteur Otto Rinaud. La recommandation de Gina Paggon avait bien sûr été d’une grande aide. Le médecin m’a confié sa surprise concernant la mort soudaine d’Oscar. Le bilan de santé de celui-ci ne laissait vraiment prévoir une attaque prochaine. Le magnat avait bien un cœur fragile, mais son mode de vie était très raisonnable.
— D’après vous docteur, qu’est-ce qui aurait pu provoquer cette attaque ?
— À mon avis, seule une forte émotion aurait pu déclencher une crise. Mais même, il avait son trinitrine… à moins qu’il n’ait pu en prendre à temps.
— Est-ce qu’une violente dispute aurait pu être suffisante ?
— J’en doute… à moins que vous ne parliez d’agression physique. Mais sa femme m’a affirmé qu’il était de nature plutôt pondéré.
A suivre
RAHAЯ