Liu Bolin, l'artiste chinois caméléon ! - Mais, lui, c'est bien un humain ... Lien pour aller découvrir ou revoir certaines de ses réalisations : http://www.lense.fr/2011/06/16/liu-bolin-lhomme-cameleon/
Le survivant, perplexe et un peu énervé, bombardait de questions le shérif taciturne. Celui-ci lui avait laconiquement lâché que les Contemplatifs voulaient juste lui poser quelques questions supplémentaires et que cela ne prendrait que très peu de temps. Les activités du rescapé n’étaient pas si urgentes, si ? C’était la sécurité de la cité qui était en jeu, tout de même… Non mais !
Ils entrèrent dans la salle du conseil. Jetely était à la gauche des conseillers, Graupiffe était assis au centre. Hilvolle était nonchalamment appuyé au mur de côté, ayant une vue dégagée du centre de la salle. Un observateur extérieur aurait eu l’impression d’un tribunal d’instance indéterminée, mais comme Hedden n’avait pas encore connu de crime grave, le survivant n’avait aucune idée de ce qu’était une cour.
Le renifleur prononça un laïus aussi superfétatoire que soporifique en reprenant toute l’affaire depuis l’arrivée du rescapé. Les conseillers remarquèrent que celui-ci ne manifestait ni impatience, ni aucune émotion, ni fatigue, et ne purent s’empêcher de murmurer entre eux.
Jetely, extérieurement impassible, s’efforçait de sonder délicatement, mais en profondeur, l’esprit de l’individu. Il l’avait examiné, mais assez superficiellement, la première fois. Il avait constaté certes une discontinuité de beaucoup de souvenirs, mais s’était contenté de l’explication du syndrome post traumatique. Cette fois, il allait scruter ces prétendues anomalies.
Le télépathe constata avec une surprise qu’il s’efforça de dissimuler, que certains des souvenirs présentaient des raccordements chronologiques incongrus, voire absurdes. Le plus frappant, et Jetely se serait donné des coups de pieds au cul pour ne pas l’avoir détecté au début, c’était l’absence de toute émotion que tout souvenir, bon ou mauvais, aurait dû générer. Ah si, pourtant ! Il décela, profondément enfouie, une faible lueur émotive relative à… des enfants ! Non, le télépathe affina son analyse et trouva avec stupéfaction le concept de progéniture… dans le sens animal.
Le survivant commença alors à s’énerver, s’agiter, comme s’il semblait être conscient de l’intrusion mentale du télépathe. Alerté, Jetely adressa un regard au maître du feu qui ne l’avait pas quitté des yeux durant tout ce temps. Hilvolle bougea alors, il semblait faire rouler entre ses mains, devant lui, un ballon invisible ; en réalité, il accumulait l’énergie de son mana.
Mu par un instinct inconnu, le survivant se transforma, à l’effroi des humains présents. Ses bras s’allongèrent, ses mains se plièrent en s’affinant, prenant ce qu’on pourrait qualifier d’attitude trompeuse de prière. Son derrière s’allongea et s’épaissit de façon écœurante. Son crâne s’élargit en triangle et ses yeux devinrent à facettes. Il allait s’élancer vers la sortie. Jetely lança à Hilvolle : « Maintenant ! ». Le maître du feu projeta sa boule d’énergie sur l’horrible créature qui flamba immédiatement en proférant une dernière puissante stridulation crispante.
Jetely relata alors ce qu’il avait trouvé tout au fond de l’esprit de la créature qu’il appela camémantis. Cette espèce était un prédateur de la forêt. Peu véloce, elle n’avait aucune chance dans les plaines. Elle chassait généralement à l’affut. La nature l’avait dotée de la faculté de mimétisme très poussée. Outre un pouvoir de suggestion indéniable, elle pouvait modifier son apparence, en accord avec celle de sa proie, tant que sa taille était équivalente à la sienne. Comme la mygale, elle liquéfiait sa proie et la suçait rapidement pour ne laisser qu’une enveloppe de cuir dur. Elle chassait habituellement les cervidés, mais les humains qui étaient entrés dans son territoire lui avait fait miroiter de nouvelles perspectives, elle allait pouvoir se gaver et se multiplier plus rapidement, car dans la forêt, seuls deux ou trois petits de sa progéniture avaient la chance de survivre. La venue des colons allait bouleverser le délicat équilibre proie-prédateur.
Le télépathe avait eu le temps de soutirer du camémantis l’endroit où elle avait pondu : un hangar à provisions. Il n’avait pas été difficile de détruire le nid. Les trois Contemplatifs énoncèrent leurs recommandations. Il était inutile d’exercer des représailles et d’exterminer les camémantis. D’une part, elles étaient en très petit nombre et ne quittaient normalement jamais la forêt : d’autre part, leur extinction créerait un déséquilibre et leurs proies qui se multiplieraient trop, sortiraient dans la plaine, ce qui causerait des ravages incalculables dans les cultures.
Les Contemplatifs partirent, satisfaits, après avoir épuré toutes les autres cités de leur faux rescapé. Désormais, seuls les botanistes chercheurs de plantes médicinales avaient l’autorisation de pénétrer dans la forêt avec une forte garde armée. Ils avaient l’instruction formelle d’éviter toute provocation ou agression à l’encontre de la faune. Ainsi, les formes vivantes de Hedden vécurent dans une cohabitation relativement harmonieuse.
Fin
RAHAЯ