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Tout ce qui suivait pouvait s’appliquer à toutes les cités. L’entourage du rescapé était un peu perplexe. Le malheureux semblait avoir oublié un certain nombre de choses, ses souvenirs semblaient altérés : il se rappelait certains, mais était amnésique pour d’autres. Le docteur minimisa le phénomène en invoquant un syndrome post-traumatique.
Quelques jours plus tard, des disparitions furent signalées au sein de la ville. L’enquête menée par celui qu’on appellerait shérif mit hors de cause quelque prédateur animal : il n’y avait aucune trace, empreinte ou phanère quelconque décelable, pas de trace de sang des disparus… Il ne restait que leurs vêtements, c’est dire qu’ils avaient disparus nus !
Beaucoup de jeunes étaient noctambules, leurs activités de pionniers étant loin d’être épuisantes. Mais le phénomène touchait autant les jeunes que les adultes et se produisait aussi bien le jour que la nuit. Personne ne s’aventurait plus du côté de la forêt, depuis l’apparition du survivant avec son récit effrayant, les explorations seraient pour une génération ultérieure. Alors, comment des citoyens pouvaient-ils disparaître sans laisser de trace ?
Ce ne fut qu’à la réunion du Conseil que le shérif reconnut de mauvaise grâce qu’il ne maîtrisait pas la situation. Il fut décidé de contacter les autres communautés pour organiser un brainstorming. Quelle ne fut la surprise du Conseil en constatant que le problème était planétaire, les autres Conseils avaient eu la même idée et étaient aussi impuissants. Tous s’accordèrent alors à demander l’aide des Contemplatifs de Tibbé.
Tibbé est la planète de la méditation. Elle n’avait que quelques points d’exploitation minière. Au XXXe siècle, des lamas bouddhistes y émigrèrent, loin du charivari de la Terre. Ils y retrouvèrent leur milieu naturel avec les chaînes de montagne enneigées, les vallées fertiles et la tranquillité d’un écosystème dépourvu de grands prédateurs. Puis Tibbé devint le havre des humains dit anormaux, des gens doués de facultés parapsychiques qui ressentaient douloureusement leur différence ou dont les autres avaient peur. La planète concentrait donc le plus de medium au mètre carré, des télékinésistes, des télépathes, des précognitifs et autres. Les Contemplatifs vivaient de l’agriculture et usaient de leurs facultés pour éviter toute mécanisation qui troublerait l’harmonie du système : des sourciers trouvaient de l’eau que les télékinésistes faisaient remonter et distribuaient, les « pousseurs » enrichissaient les terres par transmutation d’éléments, évitant l’utilisation d’engrais, et faisaient correspondre les rendements aux besoins de la population, y compris les employés des exploitations minières.
Il arrivait que des planètes sollicitassent la bienveillance des Contemplatifs pour les aider à résoudre quelque problème sur lequel les savants étaient impuissants : problème d’adaptation de colons, maîtrise d’une climatologie hostile… Ils étaient donc tout indiqués pour élucider l’énigme des disparitions sur Hedden.
Trois Contemplatifs débarquèrent du cargo grâcieusement prêté par la société minière : un télépathe, un « renifleur » (de loin plus efficace qu’un pisteur sioux) et un maître du feu léviteur qui pouvait faire brûler n’importe quoi par la pensée ; ce dernier avait été envoyé dans un esprit défensif, au cas où ils seraient confrontés à quelque prédateur inconnu. Les Contemplatifs n’étaient pas rémunérés, ils n’avaient que faire de l’argent ou de l’or, la satisfaction d’aider leurs semblables leur suffisait.
Comme toutes les cités étaient confrontées au même problème, les trois étrangers se rendirent à la ville la plus proche. Devant le Conseil, ils demandèrent à réécouter le shérif et tous les témoins, ou plutôt ceux concernés par les disparitions. Ce fut Hilvolle qui souleva le lièvre de la possible coïncidence de l’arrivée du rescapé et des disparitions peu après. On convoqua donc celui-ci.
Jetely le télépathe eut beau sonder son esprit, il ne découvrit aucun indice pouvant l’éclairer, dans le subconscient de l’individu. Graupiffe, le renifleur, n’avait décelé aucun tic inconscient, signe de mensonge ou de dissimulation ; il ne sentit inconsciemment qu’une vague senteur boisée qu’il attribua à l’odeur spécifique du sujet ; il était blasé, il avait rencontré une personne qui sentait légèrement le céleri et une autre le cancrelat.
Quoiqu’ayant une vocation entièrement agricole, Hedden possédait des infrastructures sanitaires qui incluaient les dernières technologies de la Terre. Le survivant avait donc reçu les premiers soins nécessaires et automatiquement subi toutes les analyses raisonnables, à la recherche de parasite ou de microbe exotique quelconque. Seule l’unité d’analyse génétique lui avait été épargnée, l’idée d’un test ADN n’avait évidemment pas effleuré l’esprit des médecins, il n’y avait aucune raison d’en faire.
Entretemps, Hilvolle désœuvré était allé léviter à quelques dizaines de mètres au-dessus de la cité, histoire de la surveiller et, pourquoi pas, peut-être assister à une disparition « en direct » ; toutefois, certaines disparitions survenaient à l’intérieur des habitations et le Contemplatif n’y pouvait rien, le cas échéant. Il redescendit à l’appel télépathique de Jetely. Les trois étrangers étaient perplexes et un autre télépathe aurait décelé dans leur esprit une trace d’appréhension, causée par la perspective d’un éventuel échec.
A suivre
RAHAЯ