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Bertrande la gourmande
Elle est prête, elle sait ce qu'elle veut, personne ne sera étonné, elle sera chirurgienne esthétique et c'est le voeu qu'elle va formuler par transmission de pensée à Fortunio, le génie de l'arrosoir ...
Seulement, la pauvrette, elle omet de préciser : "plus tard" au génie et se retrouve bien chirurgienne esthétique, de renom, spécialisée dans les visages, sans avoir eu le temps de dire ouf !
La quarantaine, sans enfant, confrontée ce jour précis aux caprices d'une milliardaire qui ne lui avait jamais auparavant confié son visage et qui la sollicite pour un énième changement facial. Les exigences de la dame sont démesurées, ses propos énoncés d'une voix suave porteurs de menaces et de chantage latents. Bertrande a réservé sa réponse sur l'intervention au lendemain ; les menaces latentes sur l'avenir de sa carrière ne l'inquiètent pas outre mesure, mais la confrontation avec cette personne désaxée l'a fortement ébranlée, elle se sent au bord du burn out. Enfin rentrée chez elle, la maison vide parce que son mari est en déplacement -et probablement chez une maîtresse-, Bertrande, affamée, dévore un reste de rôti froid accompagné de salade verte, un grand pot de glace à la mangue, s'engouffre sous la douche, se regarde au passage dans le miroir en se méprisant pour ses bourrelets (comme toujours, ses frustrations s'expriment dans l'absorption de nourriture), puis se fourre au lit.
Et, dans l'obscurité, les larmes se bousculent, se déversent à flot dans de gros sanglots. La vérité lui tombe dessus, une fois les larmes taries : "mais qu'est-ce que je fous là, au fait ? Qui suis-je, vraiment ? Oh ! Le génie dans le jardin ! Mon Dieu, je n'aurais dû être qu'une petite fille, par ma faute, je me suis privée en un instant de tant d'années de vie ! Et pourquoi n'ai-je pas mis mon talent au service de personnes modestes qui auraient vraiment eu besoin de mes soins au lieu de céder à la facilité et à l'appât du gain ?"
Philippine la coquine
Malheur ! Philippine, qui est la deuxième à formuler son voeu, veut être un mannequin célèbre et figurer sur les couvertures des magazines ; seulement, elle n'a pas non plus la présence d'esprit de préciser que c'est pour "plus tard", quand elle sera adulte. Plouf ! La voici ballotée à un train d'enfer dans sa nouvelle vie ... Peu d'heures de sommeil, mal aux pieds malgré les massages, migraines ophtalmiques récurrentes, probablement dus aux lumières trop intenses, aux flashes, petites pilules miracle pour tenir le coup, coupe-faims pour garder la sveltesse extrême ... Des amants, célèbres ou pas, qui défilent, qu'elle plaque ou qui la plaquent ... 30 ans et les plus jeunes qui se bousculent au portillon, elle doit penser à sa reconversion ... Ce ne devrait pas être si difficile, elle a gagné assez d'argent pour assurer ...
Pourtant, en se couchant dans une luxueuse chambre d'hôtel de New York, une fois de plus très tard cette nuit-là, après un gros effort pour ne pas céder à la tentation de la drogue dure lors d'une folle soirée et la sombre perspective que la prochaine fois elle ne dira pas non, l'émotion est si forte que tout lui revient : le génie ! Ses amies, son âge réel, toutes les années dont elle s'est volontairement privée !
Marie-Christine Schmucker, Echec et mat - http://lixow.com/schmucker_marie_christine/tableaux_a_l_huile/echec_et_mat
Roberte l'experte
Roberte a choisi de formuler son voeu au génie la dernière et elle prend aussi son temps pour le faire, interrogeant Fortunio de vive voix puisqu'ils sont maintenant seuls face à face.
"- Fortunio, avant que je ne te dise mon voeu, auras-tu la gentillesse de répondre à une question ?
- Dis toujours, Roberte, rares sont ceux qui pensent à m'interroger avant, trop pressés que je les exauce !
- Fortunio, peux-tu voir ce que deviennent tous les gens dont tu as exaucé les voeux ?
-Ooooh ! (énorme soupir et grand abattement) Roberte, tu es encore plus surprenante que je ne l'imaginais ! Tu mérites amplement ton surnom et en même temps moi je t'appellerais plutôt Roberte la sage ! Hélas non je ne vois rien quand les gens sont heureux et, de toute façon, bien peu se souviennent de moi ... il arrive que certains désespérés soient traversés par un éclair de lucidité et m'appellent à l'aide ! Mais, tu sais, sage Roberte, si par chance c'est la même personne qui bénéficie de mes trois voeux, bien souvent les deux derniers sont aussi catastrophiques ! Pour tes deux amies, je n'ai rien droit de te dire (nouveau gros soupir). Désolé, chère petite Roberte, il est temps, c'est ton tour maintenant, tu ne peux plus y échapper ... Je t'en supplie, choisis bien !
- Fortunio, je devine que cela va mal pour Bertrande et Philippine, de toute façon mon voeu était décidé et je suis sûre que c'est le bon, l'urgence prime. J'en avais tant dans la tête, il y a tant de souffrance sur la planète, mais voici le mien : je veux que les voeux de mes amies soient annulés et que nous soyons toutes les trois réunies ici, et vite fait, comme si de rien n'était !
- Quel magnifique voeu ! Tu me combles de joie, mais oui si c'est ta volonté, je peux le faire !"
***
Roberte ressent un étourdissement et s'appuie contre une vitre de la serre ... Quand tout redevient clair, elle se retourne et Bertrande et Philippine, l'air égaré, sont présentes à nouveau, regardant autour d'elles ... Et Roberte, une nouvelle fois, prend la parole la première, tandis qu'elle assiste, alors que les deux autres fillettes, tournées vers elle, ne voient rien, au départ de Fortunio le génie, qui lui adresse un sourire radieux avant de disparaître, cette fois par la grande ouverture de l'arrosoir aux coccinelles !
- Dites donc, j'ai eu la berlue, ou quoi ? demande Philippine, un génie est bien sorti de cet arrosoir ? Voyons voir ... mais non, il n'y a rien dedans ! Bizarre, je ne me sens pas très bien ...
- Moi aussi, je l'ai vu, déclare Bertrande, qui se rappelant qu'elle a une sucette en main, tout d'un coup la considère d'un air dégoûté et s'en va la jeter dans la poubelle ! Je crois que j'ai eu comme un passage à vide et j'ai une mauvaise impression qui m'oppresse ... Ah, je respire mieux, déjà !
- Oui, les filles, nous avons vraiment rencontré le génie Fortunio, vous avez été les deux premières à formuler des voeux, cela ne semble pas vous avoir réussi, mais j'avais prévu le coup : quand mon tour est venu, j'ai demandé que vos voeux soient annulés, ne plus vous voir m'a trop bouleversée !
Bertrande et Philippine sautent au cou de Roberte et lui manifestent toute leur reconnaissance. Philippine conclut : "j'ignore de quels guêpiers tu nous as tirées, mais tu as drôlement bien fait ! J'espère que nous te revaudrons cela !"
***
"Les filles, on rentre, il est presque cinq heures, grand-mère nous attend tous pour le goûter !" appelle grand-père en passant la tête par la porte de la serre.
Quand la petite troupe entre dans la cuisine, moi, Lenaïg, j'ignore si le souvenir du génie et de toute l'aventure reste présent à l'esprit des trois fillettes. Ce que je sais, c'est qu'elles font honneur au goûter de grand-mère ! Curieusement, Philippine, qui avait une légère tendance anorexique et une maigreur un peu inquiétante, se jette sur les crêpes ! Quant à Bertrande, elle apprécie aussi mais sans exagérer et la voici qui annonce : "J'en ai marre de ces bonbons et ces sucettes qui encombrent mes poches, cela ne me fait plus envie, je n'ai pas envie d'être grosse et vous, vous n'en mangez presque jamais ... Qu'est-ce que je vais en faire ?"
"Donne-les moi, alors", répond grand-mère, " je vais les mettre dans ce grand bocal et les plus petits en profiteront quand ils viendront !
FIN !
Lenaïg
grâce à la proposition de défi de Jeanne Fa Do Si !
Beurrez le fond de votre moule et versez y la pâte. kinderchocolat.fr