Image cueillie sur : http://viiiiip0505.blogspot.fr/2013/09/regime-soupe-aux-choux-soupe-au-chou.html
Je n’ai jamais été favorisé dans ma courte vie. Il faut dire aussi que je n’y ai pas mis du mien. J’ai quitté l’école sans avoir obtenu le bac. Quoiqu’il en soit, j’ai tout de même acquis certain savoir qui, entre nous, n’était pas enseigné à l’école. J’aurais évidemment pu m’orienter vers le music-hall, mais mon caractère rebelle n’aurait pas facilité cette carrière. Ma mère m’a dit qu’avec le très long poil que j’ai dans la main, on pourrait tresser une corde assez longue pour me pendre. Je ne la contredirais pas.
À mon humble avis, tout le monde pourrait faire ce que je fais, mais cela exigerait pour la plupart des gens des années d’entraînement intensif. Dans ce domaine, j’étais plutôt doué, sans fausse modestie.
À vingt-quatre ans, je suis probablement le meilleur des pickpockets. Les vétérans me surnomment « le Petit Magicien », j’ai largement dépassé mes maîtres. C’est certainement une revanche sur le sort qui m’avait parachuté dans la banlieue à la vie misérable, dans une famille pudiquement qualifiée de défavorisée.
Je m’étais arrangé avec un de mes cousins qui tient un garage assez important pour qu’il m’inscrive parmi son personnel. Je ne lui coûte pratiquement rien, à part une feuille de paie tout à fait réglementaire ; je lui verse même la cotisation sociale et en contrepartie, je lui laisse le soin de préparer mes déclarations de revenu. Je suis donc apparemment un salarié des plus légal, quoique mes gains réels dépassent de loin le chiffre de ma « paie ».
Je vis donc dans un luxe discret, sans trop me fouler la main. Heureusement, mes goûts simples m’éloignent des marques extérieures de richesse. Mes proies sont surtout les touristes ostensiblement opulents. Je ne crache tout de même pas sur les nantis locaux et je les soulage sans aucun remord de leur superflu.
Je me suis soulevé une mignonne et gentille meuf, Mylène. Elle travaille chez un concessionnaire importateur de pièces. Mon cousin a profité de mon passage au garage pour prendre ma fiche de paie, pour me prier d’une commission ; j’étais tout de même son salarié, non ? Maintenant je crois au coup de foudre ; coup de chance, c’est réciproque. Mylène est très différente des quelques autres petites amies que j’ai pu avoir.
Jusqu’ici, je ne m’étais jamais soucié de fonder une quelconque famille. Mais à défaut d’instruction valable, ma circonspection naturelle me fait méditer longtemps sur le concept. Quoique je vive plus que décemment, avoir à charge une famille est une autre paire de manche, d’autant plus que dans ma « profession », on ne doit pas espérer de pension. Et puis, oserais-je avouer mes activités à Mylène ? Son amour irait-il jusqu’à accepter comme compagnon un vulgaire – disons le mot – voleur ? Je subis ainsi les affres de l’indécision… Et pourtant je l’aime.
Quoique je sois spécialisé dans la subtilisation des billets et des bijoux, je ne dédaigne pas quelque colis ou paquet tentant. C’est ainsi que je tombe sur des touristes aux yeux bridés, tellement fascinés par la magnifique fresque du Jardin des Amours, que j’ai pu m’emparer du paquet posé sur le banc, à côté des sacs et des caméscopes auxquels je n’ai pas touché.
Dans ma piaule – que les gens biens qualifieraient de confortable garçonnière – je considère le fameux paquet. Il n’est pas trop lourd, je parierais pour un coffret en bois. Un coffret à bijoux ? Je fais durer le plaisir et file me préparer du caoua dans la petite mais bien fournie kitchenette.
Alors que je tournais le dos, j’entends distinctement « toc, toc, toc ». Tiens donc, je n’attends personne. Un peu agacé, je vais ouvrir. Personne. Ça, c’est fort. Aurais-je la berlue ? Ou bien aurais-je des coucouphènes comme dirait mon ancien condisciple José qui est maintenant en quatrième année de médecine ?
A suivre
RAHAR